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minérale par les progrès ainsi accomplis, telle est l’ère qui commence avec M. Dumas. Ce programme, il l’a tracé le premier, mais il ne l’a point achevé. De puissans auxiliaires y ont mis la main avec lui et après lui ; parmi eux brillent au premier rang Laurent et Gerhardt, qui ont trop tôt disparu de la scène, mais dont les noms demeurent ineffaçables dans l’histoire de la science. Des efforts réunis de ces trois savans est sortie une école, la nouvelle école française. » C’est en 1834 que M. Dumas produisit les premiers faits qui devaient faire échec à la théorie de Berzélius. En étudiant l’action du chlore sur diverses matières organiques, il montra que ce gaz avait le pouvoir de s’emparer de l’hydrogène de certains corps et de le remplacer atome par atome ; il y avait là le germe d’une méthode de substitution tout à fait contraire à l’idée dualistique ; le chlore et l’hydrogène se substituaient l’un à l’autre sans tenir aucun compte du groupement binaire de Lavoisier et de Berzélius.

Aussi dès l’abord Berzélius, mesurant le danger, engagea résolument la lutte contre cette théorie naissante. Examinant à son point de vue les faits que produisaient les partisans de l’idée nouvelle, il cherchait à les faire rentrer dans le cadre qu’il avait tracé. Ainsi la découverte de l’acide trichloracétique, faite en 1839, fut le signal d’une longue et ardente controverse. C’est un acide qui diffère de l’acide acétique par trois atomes de chlore substitués à trois atomes d’hydrogène, c’est une sorte de vinaigre chloré, et M. Dumas, en l’étudiant, montrait comment la substitution s’y opère directement ; le chlore qui remplace l’hydrogène laisse subsister les propriétés fondamentales de la molécule ; le vinaigre chloré est un acide tout à fait semblable au vinaigre ordinaire et qui donne des sels tout à fait analogues aux acétates. « Voilà, disait M. Dumas, un acide organique dans lequel il entre une quantité de chlore très considérable et qui n’offre aucune des réactions du chlore, dans lequel l’hydrogène a disparu, remplacé par du chlore, et qui n’a éprouvé de cette substitution si étrange qu’un léger changement dans ses propriétés physiques. Tous les caractères essentiels de la substance sont demeures intacts… Il est évident qu’en m’arrêtant à ce système d’idées dictées par les faits, je n’ai point pris en considération les théories électro-chimiques de M. Berzélius ; mais ces théories, cette polarité spéciale attribuée aux molécules des corps simples, reposent-elles donc sur des faits tellement évidens qu’il faille les ériger en articles de foi ? » Non-seulement la substitution signalée par M. Dumas était contraire à la théorie électro-chimique, où le chlore et l’hydrogène étaient connus pour jouer des rôles différens ; mais c’était une véritable hérésie aux yeux de Berzélius que de supposée qu’un élément d’une combinaison binaire fût remplacé