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que les étoiles sachent une fois pour toutes qu’au besoin on les laissera filer, car dans une administration bien ordonnée, si tout le monde est nécessaire, personne n’est indispensable.


F. DE LAGENEVAIS.


DE L’ETAT CIVIL DES REFORMES DE FRANCE, par M. L. Anquez ; Paris 1869.


Ce livre, dont les élémens ont été puisés dans les archives des anciens parlemens et dans un grand nombre de documens peu connus, forme avec les deux ouvrages du même auteur sur l’histoire des assemblées politiques des réformés de France un ensemble presque complet. Jusqu’ici, M. Anquez avait raconté les divers incidens des réunions où les protestans délibéraient sur leurs intérêts communs, et les conséquences produites par ces sortes d’états-généraux de la religion. Cette histoire parlementaire du protestantisme pratiquant la liberté politique au milieu d’un pays où elle était inconnue et même proscrite présentait un tableau instructif et curieux. Elle s’arrête à la date de 1621, qui est l’époque de l’assemblée de La Rochelle. A partir de ce moment commence le mouvement rétrograde qui aboutit à la révocation de l’édit de Nantes : c’est la partie la plus connue des annales du protestantisme dans notre pays. Le nouvel ouvrage de M. Anquez reprend la suite des destinées des calvinistes français depuis le jour où un roi trop puissant pour laisser arriver à lui parmi d’innombrables flatteries un seul bon conseil décida, contre le sens moral, que ses sujets feraient une profession de foi imposée par la force, — contre l’intérêt du pays, que des milliers de bons citoyens, d’hommes industrieux et intelligens cesseraient d’être Français, — contre la vérité manifeste, qu’il n’y avait plus, parce que c’était son bon plaisir, un seul protestant dans la France de son aïeul Henri IV. A quelles conditions pouvaient vivre et durer les familles protestantes dans un pays d’où il était défendu à leurs membres de sortir, et où ils ne pouvaient exercer aucun droit civil sans faire acte de catholiques ? Quelle était cette existence toujours menacée d’époux que la loi regardait comme vivant en concubinage, d’enfans qu’elle condamnait à la bâtardise, d’honnêtes gens qui pouvaient à chaque instant être ruinés par des procès que leur intentaient des collatéraux malhonnêtes ? — C’est le tableau de cette malheureuse société réformée que présente sans déclamation, avec l’éloquence des faits, le livre nouveau de M. Anquez. Au mérite de l’exactitude et de la solidité qui distingue cet ouvrage, il faut ajouter la sympathie pour des victimes dont le sort était d’autant plus pénible que leur conscience était plus délicate, le juste blâme infligé à des lois contradictoires et barbares qui de temps en temps, dans un siècle sceptique et irréligieux, renouvelaient les persécutions religieuses, enfin une grande modération qui honore l’historien et commande la confiance.


L. ETIENNE.


L. BULOZ.