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jouée et chantée par Mlle Mauduit en tragédienne assez sûre de son talent de cantatrice pour maintenir l’autorité du personnage à travers les inextricables difficultés de la notation.

La dernière reprise du Prophète, tentée à l’Opéra il y a deux ans, échoua par l’insuffisance du ténor. M. Gueymard y livra sa dernière bataille et la perdit. Le chef-d’œuvre aujourd’hui reparaît dans des conditions sinon parfaites, du moins un peu meilleures. Quant aux grands ensembles, qui tiennent, on le sait, ici la plus large place, ils sont ce qu’on les trouve à l’Opéra lorsque l’Opéra se met en peine d’user de toutes ses ressources, ce qu’on a fait cette fois, et du plus bel entrain. Le seul acte de la cathédrale suffirait à la fortune de cette reprise. Aux magnificences de la mise en scène se joint ce luxe d’un immense personnel concertant qu’on chercherait en vain, même à l’Opéra de Vienne. Ce dernier, pour la fameuse attaque des instrumens de cuivre dans la marche triomphale, garde encore l’avantage ; mais il ignore cette innombrable phalange d’enfans de chœur à l’aube de guipure sur leur soutane de pourpre, encapuchonnés de la mosette cardinalesque, et rehaussant, l’encensoir d’or à la main, de leurs voix argentines les idéales sonorités de ce divin morceau. J’aime aussi beaucoup ce ballet de patineurs, et pour sa musique, la meilleure en ce genre que Meyerbeer ait composée, et pour ses jolies patineuses, dont le nombre s’est augmenté de deux virtuoses britanniques, le frère et la sœur, dit-on, recrutés à l’Alcazar. À ce propos, j’entends se faire un certain bruit : les puritains reprochent à l’Académie impériale d’aller chercher son bien jusque sur les tréteaux, ce qui ne serait point assez académique. J’avoue ne pas comprendre un pareil grief et me l’explique d’autant moins qu’on ne s’en était encore jamais avisé, que je sache, au sujet de Mme Marie Sasse, sortie, elle aussi, d’un Alcazar quelconque, et dont personne n’a songé à incriminer l’origine. Mme Sasse quitte aujourd’hui l’Opéra, qui sans déroger se l’était jadis attachée, et qui, après avoir très généreusement rémunéré ses services, peut sans reproche la laisser s’éloigner. Si la charité est un plaisir dont il faut parfois savoir se priver, il y a pour une administration de théâtre de ces dépenses que nul entraînement ne doit faire encourir. Payer un chanteur 60 et 70,000 fr. par an est déjà un luxe fort magnifique ; le payer 100 et 120,000 serait la dernière des folies. A l’Opéra surtout, de pareilles conditions ne sauraient être admises, car à l’Opéra c’est l’ensemble de la troupe qui fait la recette. En dehors du nom étoile de Christine Nilsson, qui seul exerce du prestige sur l’affiche, l’Opéra s’appelle légion, et l’on a pu voir ces jours-ci, dans Faust, M. Castelmary remplacer M. Faure sans que cet incident, appréciable des seuls habitués, ait eu de quoi émouvoir le public. Cela ne veut pas dire qu’un théâtre comme l’Académie impériale.ne doive point faire une part très large aux grands sujets ; il convient cependant que ceux-ci à leur tour s’humanisent, et