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cette reprise a bien son intérêt. La preuve, c’est que le public s’en émeut, accourt, et que la partition du Prophète, jusqu’ici classée sous le rapport des recettes au dernier rang parmi les chefs-d’œuvre du maître, semble pour la première fois voir la fortune lui venir. Les vrais chefs-d’œuvre finissent toujours par réussir ; il ne s’agit que de savoir s’y prendre et les ramener avec tous leurs avantages sous les yeux de qui les a d’abord méconnus. À ce compte, l’heure du Prophète pourrait bien être arrivée. Une mise en scène remarquable, une pompe musicale (dans. ce fameux quatrième acte surtout) telle que nul théâtre au monde n’en pourrait fournir de pareille, voilà pour les avantages. La distribution des personnages est restée à peu près la même qu’il y a deux ans. M. Gueymard seul a disparu, et c’est M. Villaret (qu’aurait dit Meyerbeer ?) qui lui succède dans ce rôle de Jean, le plus laborieux, le plus écrasant qu’il ait jamais écrit pour un ténor. Le rôle a cependant de beaux côtés. S’il n’est ni passionné ni sympathique, il est théâtral, grandiose ; les situations dramatiques abondent, les phrases haut-sonnantes s’y succèdent, et pourvu qu’on ait le souffle nécessaire, on peut compter sur des occasions de succès. Malheureusement ces triomphes-là sont de ceux dans lesquels on s’ensevelit. M. Roger tout le premier y succomba, et depuis combien de victimes n’a-t-il pas faites ! C’est que cette musique parfois sublime vous a des sévérités inexorables, et les batailles qu’elle gagne coûtent cher à ceux qui servent sous ses ordres : morituri te salutant. On y va comme à l’assaut. Ce qu’on peut dire de mieux de M. Villaret dans ce rôle, c’est qu’il le mène jusqu’au bout ; il s’en tire tant bien que mal, une fois même assez bien : je veux parler du finale du troisième acte chanté sous les murs de Munster, où sa voix s’élève, dominant les masses, et porte aux étoiles, non sans un rude effort pourtant, l’hymne du roi David. Cette période sacrée et triomphale est de celles qu’on entend avec ravissement. Quand les harpes l’annoncent, la salle entière frémit d’aise. Nous aussi nous l’écoutions avec délice, et le charme ne nous a cependant pas empêché de saisir au vol une ressemblance. Avez-vous présent à la pensée l’hymne national autrichien : Gott erhalte den Kaiser ? C’est étrange comme ici l’inspiration de Meyerbeer a rencontré celle du grand Haydn. Du reste, sur ce chapitre des réminiscences, la partition du Prophète, si l’on voulait y regarder de bien près, encourrait plus d’un reproche, et la romance de Jean au second acte aurait bien quelque analogie avec certaine cantilène trop connue d’Hérold dans Marie, de même que le dernier brindisi sur le bûcher rappelle, comme on l’a vu plus haut, la phrase de Mozart. Le motif, dans le Prophète, manque généralement d’originalité ; il sort inquiet, tourmenté, surtout dans les morceaux de demi-caractère, le trio sous la tente par exemple, où ce rhythme qui s’évertue à battre le briquet vous agace à la longue. En outre et pour épuiser la somme des critiques, je dois dire que le récitatif, une des qualités prédominantes de l’art de Meyerbeer, se