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des enfans de chœur. C’est cependant, comme étude géographique et ethnographique, une chose assez curieuse à noter de voir deux bergers de l’Oberland s’appeler et se répondre sur la clarinette au début d’une pièce qui se joue en Hollande, c’est-à-dire dans un pays où les moulins à vent composent à eux seuls tout le pittoresque du tableau. On se croirait en Arcadie, et nous sommes à Leyde, Harlem, Utrecht et autres lieux. Chez un homme aussi préoccupé que Meyerbeer de la couleur locale, l’anomalie a paru étrange ; Peter Breughel le vieux, Ostade et les deux Téniers en ont beaucoup ri, je dois le dire. »

A l’entrée des trois anabaptistes s’arrêtent les interprétations drolatiques. Mozart ici n’a plus de sarcasme ; devant ce sinistre choral où les masses fanatiques se ruent à l’unisson, ses applaudissemens éclatent et en même temps ceux de l’auguste assemblée, où figure C.-M. de Weber, qui s’écrie en se frottant les mains : « Bravo ! mon ancien condisciple chez l’abbé Vogler. Décidément ce Meyerbeer était un homme. » Il est vrai que l’immortel épistolier ne tarde pas d’ajouter en manière de restriction : « Quel dommage que ce personnage de Jean vienne tout gâter ! Comment le compositeur a-t-il, d’un pareil maladroit, rêvé de jamais pouvoir faire rien qui vaille ? Nulle conséquence, nul caractère, toujours irrésolu, à deux masques, bon et mauvais fils, pitoyable amoureux, religionnaire exalté et acceptant sans se révolter le moins du monde l’emploi de faux prophète, se donnant pour le fils de Dieu, passant au cinquième acte de la plus bucolique des églogues en l’honneur de la vie des champs à cette bacchanale effrénée qu’il chante au milieu de ses hétaïres et de ses bayadères sur l’air de la ci darem la mano. Le récit de son prophétique songe m’a ravi. Comme instrumentation, c’est splendide, et quelle hauteur, quelle poésie dans la pensée ! Je n’hésite pas à placer cet épisode à côté du sublime récit du songe dans l’Iphigènie en Tauride de Gluck. L’effet d’orchestre imitant le galop des chevaux lancés à la poursuite de Bertha ne laissa pas non plus de nous intéresser. Ce quadrupedante putrem exprimé par les bassons mit en belle humeur le papa Haydn, et M. de Buffon, qui se trouvait placé à côté de moi, nous fit remarquer que ce passage indiquait chez le maître un très fin observateur de la nature du cheval et de certaines habitudes qu’il a dans ses courses forcées. Le trio d’Oberthal et des deux anabaptistes, bien qu’un peu long, nous parut un morceau de genre très réussi. Nous goûtâmes également au début du quatrième acte le duo entre Fidès et Bertha, expression vraie, style admirable. Sur l’allegro de la fin, la Faustina bondit comme une tigresse ; vous eussiez cru voir Charlotte Corday. Nous applaudîmes encore la piquante instrumentation du brindisi, et tout finit à la plus grande gloire du compositeur, dont le nom fut triomphalement acclamé. »

La perfection n’étant pas de ce monde, il ne fallait point s’attendre à voir l’Opéra réaliser les merveilles de la Jérusalem céleste, et cependant