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triomphé des grands obstacles, ils se perdent dans les petites difficultés. L’Italie vient d’entrer dans une des phases les plus ingrates qu’elle ait traversées depuis longtemps, et, par une bizarrerie de plus, cette crise sans nom, d’un caractère insaisissable, s’est déclarée le jour où le ministère de Florence paraissait s’être fortifié et raffermi, où un rapprochement d’opinions semblait s’être accompli par l’entrée de quelques dissidens piémontais et de quelques membres du tiers-parti dans le gouvernement. Cette réconciliation, désirée par tous les esprits clairvoyans et sérieusement politiques, a-t-elle été mal faite, mal préparée ? En terminant d’une part des divisions malheureuses, a-t-elle provoqué des mécontentemens d’un autre côté dans l’ancienne fraction ministérielle et conservatrice ? Ce qui est certain, c’est que le jour où l’on croyait que tout allait s’arranger, tout s’est gâté au contraire plus que jamais. La crise a commencé de se révéler par la résistance que les projets financiers de M. Cambray-Digny ont rencontrée dans la chambre, et qui ne se serait point évidemment manifestée au même degré, si certains membres de la droite n’avaient pas porté dans l’examen de ces questions un esprit aigri et froissé ; elle a continué et elle s’est développée par un incident assez inattendu, la demande d’une enquête parlementaire sur des faits de corruption reprochés à quelques députés ; elle s’est tout à fait envenimée enfin par un événement encore plus imprévu, une tentative nocturne d’assassinat dirigée contre un député, M. Lobbia, qui avait décidé la nomination de la commission d’enquête parlementaire en déposant sur le bureau de la chambre un pli cacheté contenant, disait-on, de graves révélations. Quelles sont ces révélations ? On ne le sait pas trop encore, et on doute même qu’elles vaillent tout le bruit qu’on en fait. Tout cela se complique d’ailleurs d’un vol de lettres qui ternit singulièrement l’origine de ces accusations. Quels étaient d’un autre côté ces assassins embusqués la nuit dans une petite rue de Florence pour poignarder M. Lobbia ? On l’ignore ; la police n’a pas pu jusqu’ici mettre la main sur ces mystérieux sicaires, qui s’étaient, bien entendu, déguisés et masqués pour commettre le crime, et là-dessus les fables n’ont pas manqué ; elles n’ont épargné en vérité ni le gouvernement ni ceux qu’on croyait compromis par les révélations remises à la chambre. En somme, cette curieuse aventure, dramatisée par les imaginations soupçonneuses, ressemble moins à une histoire de l’Italie actuelle vivant au grand air de la liberté qu’à un vieux levain des passions et des mœurs de l’Italie d’autrefois. Garibaldi n’assurait-il pas récemment, dans une de ces lettres précieuses qui partent de temps à autre de Caprera, que nous en étions encore à l’époque des Borgia ?

Toujours est-ii que cette tentative de meurtre dont M. Lobbia a failli être la victime est devenue l’occasion ou le prétexte d’une émotion extraordinaire. Le blessé a été entouré de témoignages exceptionnels d’intérêt. Les esprits se sont montés, l’irritation a pénétré dans le parlement,