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ment prussien redouterait aujourd’hui par-dessus tout, dit-on, serait de voir la France revenir régulièrement, pacifiquement, à un régime libéral, à une sérieuse pratique des institutions parlementaires. Cela dérangerait ses plans et gâterait son jeu ; il y verrait son plus grave embarras. Si les hommes d’état de Berlin en sont là, ils commettent une singulière méprise : ils ne voient pas que la liberté, se développant simultanément en Allemagne et en France, est peut-être la seule solution pacifique possible des questions qui pèsent aujourd’hui sur l’Europe.

La liberté, c’est le grand but où tend le monde européen dans ses guerres comme dans ses révolutions. Il est à la recherche de cet heureux et toujours insaisissable équilibre entre les instincts nouveaux des peuples et leurs institutions. L’Espagne, pour sa part, est occupée une fois de plus à faire cette aventureuse expérience. Elle n’est pas au bout, on peut en être certain. On pourrait dire cependant qu’elle vient de faire un pas jusqu’à un certain point décisif ; elle a franchi une étape de sa dernière révolution, en ce sens qu’il y a aujourd’hui au-delà des Pyrénées une nouvelle constitution définitivement promulguée avec toutes les cérémonies usitées en pareil cas ; il y a toutes les apparences d’un gouvernement régulier à Madrid. On y a mis le temps, et le parti républicain, comme il en avait le droit, a fait ce qu’il a pu pour prolonger la discussion de la loi constitutionnelle. Il avait visiblement une arrière-pensée, il attendait les événemens, il voulait laisser les élections françaises s’accomplir. Quand ces élections ont été faites sans avoir réalisé tout ce qu’on en espérait peut-être à Madrid, il n’y avait plus de raison de prolonger des débats inutiles, d’autant plus que les grandes questions étaient tranchées. Les cortès en ont donc fini avec la période irrégulière, provisoire de la révolution de septembre, en votant la constitution nouvelle, qui est d’ailleurs la consécration de tous les droits, de toutes les libertés possibles ; mais c’est ici que reparaît ce qu’il y a toujours d’étrange dans les affaires espagnoles. Cette constitution qui vient d’être votée, promulguée, jurée comme toutes celles qui l’ont précédée, cette constitution consacre la forme monarchique ; elle crée une royauté qui ne sera pas à son aise dans les liens étroits où on l’enchaîne, mais qui reste encore après tout une royauté, et il n’y a toujours pas de roi à Madrid ; on n’a pas réussi à trouver le prince Charmant qui voudra bien se laisser couronner. La situation ne laissait pas d’être bizarre. On y a pourvu en créant une régence, et le général Prim a démontré de la façon la plus catégorique la nécessité de cette institution temporaire ; il a tenu aux cortès un discours qui pourrait se résumer ainsi ou à peu près : Notre position n’est pas facile. Nous aurions voulu pour roi dom Fernando de Portugal ; mais ce prince peu reconnaissant refuse, il préfère se marier selon son goût et vivre en famille. Il est bien certain d’ailleurs qu’un prince européen peut n’être pas tenté d’accepter, la couronne dans les conditions actuelles, qui ne sont pas des plus commodes.