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aux « générations futures » l’achèvement de l’œuvre. Soit, c’est un terrain accepté ; mais franchement, si à Berlin on se préoccupe du traité de Prague, c’est pour s’en assurer les avantages bien plus que pour en remplir les obligations vis-à-vis du Danemark, qui en est toujours à savoir ce que deviendront les districts réservés du Slesvig. Si on ne passe pas le Mein bannières déployées, on fait assurément plus d’une promenade au-delà de la rivière. Ce que la politique prussienne craindrait de faire avec éclat et d’un seul coup, elle l’essaie peu à peu par des actes partiels qui au premier abord semblent tout simples, tout naturels et dénués de grande signification. Un jour, c’est la convention qui autorise les Badois à faire leur service dans l’armée prussienne. Tout récemment, c’est un tribunal supérieur de commerce qu’on établit à Leipzig et dont la juridiction s’étendrait à l’Allemagne tout entière. Maintenant c’est la commission des anciennes forteresses fédérales qui proposerait, dit-on, de laisser les forteresses indivises entre le sud et le nord, et voici des habitans de Mayence qui demandent au grand-duc de Hesse de faire entrer cette grande place d’armes dans la confédération-du nord. Nous ne méconnaissons pas ce qu’il y a d’habileté dans cette tactique qui prépare si bien l’œuvre des « générations futures, » et qui peut tout simplement conduire au but sans qu’on y prenne garde, tandis que le jeune roi de Bavière est occupé à nouer et à dénouer ses mariages ou à faire organiser pour lui seul des représentations du Lohengrin de M. Wagner. La question est cependant de savoir si un jour ou l’autre tous ces actes, qui sont peut-être enregistrés quelque part avec soin comme les élémens d’un dossier, ne finiront point par constituer un ensemble suffisant pour provoquer quelque éclat, et c’est ainsi que, malgré toutes les apparences de paix, la situation reste aujourd’hui ce qu’elle était hier, c’est-à-dire aussi peu rassurante que possible.

M. de Bismarck lui-même n’en est point à se méprendre sur les difficultés au sein desquelles il se débat, difficultés intérieures, difficultés extérieures, et c’est l’explication la plus simple des impatiences nerveuses qu’il porte dans les affaires. « Vous ne savez pas où vous pouvez me frapper, disait-il un jour devant la chambre ; vous ne connaissez ni mes luttes ni la situation politique générale. » Aujourd’hui comme à l’époque où il parlait ainsi, M. de Bismarck sent bien que tout tient à un fil ; en bataillant avec le parlement pour les impôts qu’on lui dispute, il tourne plus d’une fois ses regards vers la France. Au premier bruit des troubles récens de Paris, le cabinet de Berlin n’aurait pu se défendre, à ce qu’il paraît, d’un malicieux plaisir. Il ne pensait pas sans doute comme les radicaux d’outre-Rhin, qui voyaient déjà dans les scènes du boulevard Montmartre le commencement d’une révolution prête à embraser l’Allemagne elle-même ; mais il voyait dans cette agitation un principe d’embarras intérieur assez sérieux pour occuper le gouvernement français et le détourner de toute action extérieure. Ce que le gouverne-