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de ses ambitions et de ses procédés, a fait tout ce qu’il fallait pour compliquer cette entreprise de la rénovation allemande, pour provoquer les résistances intérieures, pour susciter les ombrages au dehors, si bien que, malgré toutes les apparences triomphantes, l’œuvre est peut-être moins avancée aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a un an. Tout le monde à Berlin considère l’état actuel comme un provisoire qui ne saurait durer, et cependant on craint très fort qu’il ne dure ; il est même des esprits qui vont jusqu’à croire que tout cela pourrait bien finir par le dualisme. « On est beaucoup plus loin de l’unité qu’il y a un an, nous écrivait-on récemment d’une des villes prussiennes ; on n’a pas osé souffler mot de la question nationale dans le parlement douanier, de peur de soulever des tempêtes… » C’est tout simple ; on se heurte contre les difficultés mêmes qu’on s’est créées. S’il y a une chance favorable pour que l’unité allemande se réalise et triomphe de tous les obstacles, cette chance est dans la liberté. Qu’a fait au contraire la Prusse ? Elle a procédé par la conquête, par l’absorption, par une sorte de prise de possession autocratique. Elle a tenu à mettre partout le cachet d’une puissance victorieuse et dominatrice. On se souvient de cette dépêche secrète indiscrètement divulguée, il y a quelques mois, par l’état-major autrichien, et dans laquelle le négociateur de Nikolsbourg, M. de Bismarck, à la veille de la paix de Prague, laissait si bien voir que le roi n’était pas outre mesure préoccupé de l’Allemagne, mais qu’il ne rentrerait pas à Berlin sans des annexions. La Prusse a annexé effectivement, elle est toujours prête à annexer, et, pour faire aimer l’annexion, elle prodigue les nouveaux impôts avec les séductions de sa bureaucratie. Il est clair que ce genre de propagande n’est pas des plus contagieux, et le glacial accueil qu’a trouvé le roi dans le Hanovre en est la preuve la plus récente et la plus significative. Les résistances que le cabinet prussien a rencontrées pour ses projets financiers dans le parlement fédéral et dans le parlement douanier démontrent assez que tout ne marche pas le plus aisément du monde.

Les difficultés sont bien plus sérieuses encore dès qu’il s’agit des rapports du nord avec le sud ; elles se compliquent de questions internationales, d’antagonismes extérieurs qui ressemblent toujours à une plaie vive. C’est ici surtout qu’apparaît ce qu’il y a de précaire dans une situation où il est tout aussi difficile de marcher que de s’arrêter, où il s’agit sans cesse de se tenir en équilibre sur la paix de Prague, sur la ligne du Mein, faisant assez pour ne décourager aucune espérance sans aller jusqu’à provoquer quelque redoutable orage extérieur. La Prusse joue ce jeu depuis deux ans avec une dextérité singulière. Elle est pour le moment très disposée à la paix, nous n’en doutons pas ; elle sent bien que le plus grand des périls pour elle serait de donner un prétexte, qu’elle a tout intérêt à ne prendre aucune initiative ostensible de provocation ; elle reste officiellement sur le terrain de la paix de Prague, et elle renvoie