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évidemment pour la république, si la république était le gouvernement. Il croyait bien faire, le maire n’en savait pas beaucoup plus, et les votans de l’opposition n’y mettaient eux-mêmes guère plus de finesse. « Je n’en savais pas plus là-dessus que mes moutons, dit bravement l’un d’eux, mes deux bulletins étaient dans ma poche… Pas d’opinion ; j’aurais mis dans l’urne celui qui me serait venu sous le pouce… » — Voilà des suffrages bien libres, bien éclairés, pour l’opposition aussi bien que pour le gouvernement ! — Et d’un autre côté voyez ce qui se passe dans le bassin populeux de Saint-Étienne parmi ces ouvriers agités par une question de salaire, livrés depuis quelques jours à la grève.

Ici l’épisode est navrant sans doute. Un conflit sanglant est venu assombrir cette agitation ouvrière. Des troupes ont été envoyées au moment où elles conduisaient un convoi de prisonniers, elles ont eu à repousser l’agression d’une multitude violente, et une décharge meurtrière a jeté à terre une douzaine de victimes ; des femmes et des enfans ont péri dans cette bataille de hasard au coin d’un chemin. C’est le côté funèbre de cette grève de Saint-Étienne, Nous ne recherchons en ce moment ni si toutes les précautions avaient été prises, ni si les griefs des ouvriers étaient justes ou exagérés. Il y a, ce nous semble, dans les faits qui ont préludé à cette sombre aventure de Ricamarie un détail plus caractéristique. Que les ouvriers eussent tort ou raison, ils avaient, pour défendre leurs droits, la loi sur les coalitions, qui a été faite justement en leur faveur ; ils pouvaient se réunir, exposer leurs plaintes, discuter, et en fin de compte recourir à la grève, s’ils le voulaient, comme à une arme extrême. Ont-ils agi ainsi ? Nullement, ils ne semblent pas même avoir eu l’idée de se servir de leur droit de coalition. Un jour des meneurs se sont répandus dans le bassin de Saint-Étienne, ils ont donné un mot d’ordre ; les ouvriers qui voulaient continuer à travailler, on les a contraints à quitter les mines. Les propriétés ont été attaquées. C’est par un acte mystérieux d’autocratie et par des menaces de violence qu’on a engagé cette grève, de sorte que voilà des hommes qui ne songent pas même à se servir de la liberté qu’ils ont, qui prétendent gouverner sommairement les lois du travail et du salaire ! C’est là le fait grave. Ce que nous en voulons conclure, c’est que tout ne réside pas dans des questions de politique abstraite, et que pour un parti véritablement libéral, en dehors des vaines querelles, il y a beaucoup à faire encore, si on veut accoutumer les masses à l’exercice intelligent et viril des droits qu’elles ont reçus.

Au moment où s’ouvre pour quelques jours le corps législatif de France, ce corps législatif né dans l’émotion de ces deux derniers mois, l’Allemagne voit se clore ses principales assemblées, le parlement de la confédération du nord, le parlement douanier, où le sud et le nord se retrouvent ensemble ; mais avant de laisser partir de sa bonne ville