Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vant lui le programme des réformes qu’il entendait réaliser, il serait resté sans doute plus complètement maître du mouvement qui se déroule aujourd’hui. Accomplies dans le vague, ces élections sont allées nécessairement droit au nœud de la question, au principe même du pouvoir discrétionnaire, de l’omnipotence administrative, et elles entraînent inévitablement désormais un retour plus ou moins gradué à un régime d’institutions sincèrement libérales. Or ce régime a ses conditions naturelles, il implique des garanties connues, des responsabilités échelonnées, des droits indépendans qui se pondèrent et s’enchaînent, et au point où en sont venues les choses, le mieux est certainement de ne pas chercher à scinder un système qui n’a une sérieuse efficacité que pris dans son ensemble.

La plus dangereuse des combinaisons serait de faire un amalgame qui réunirait les inconvéniens de tous les régimes, qui ne pourrait que prolonger une crise d’agitation morale et d’attente. Le gouvernement n’en est plus sans doute à se faire illusion, le langage de M. Rouher prouve que, s’il n’a pas parlé au pays avant les élections, il ne méconnaît pas la puissance de cette manifestation, la légitimité de ces « vœux » qu’il se propose de « réaliser. » Il peut se donner quelque temps, et au besoin le prochain centenaire de Napoléon peut devenir la date de sérieuses initiatives libérales ; mais dans tous les cas c’est pour le gouvernement une obligation d’agir, de ne pas laisser l’opinion dans l’incertitude, de reconstituer une situation normale et dégagée de toutes les obscurités. Quels seront les hommes qui seront chargés d’inaugurer et d’appliquer une politique nouvelle ? La question n’est point évidemment sans importance ; elle s’agite déjà vivement dans les conversations ; on invente des combinaisons, on crée des ministères. L’essentiel pour le moment est de décider ce qui sera fait, et comment cela sera fait.

C’est une nécessité pour le gouvernement de marcher en avant, tout comme c’est une nécessité pour l’opposition elle-même de savoir ce qu’elle veut, de préciser son action. Jusqu’ici on s’est tenu dans le vague, dans les généralités qui prêtent à tous les développemens ; on parlait dans les réunions, on faisait des circulaires, on était de plus dans l’excitation d’une lutte passionnée ; l’heure est venue de retrouver le sang-froid et de formuler une politique nette, inspirée du sentiment pratique des choses, car, il ne faut pas s’y tromper, une des raisons de l’incohérence qui apparaît presque partout aujourd’hui, c’est que, si on voit d’un côté un gouvernement surpris et déconcerté, qui met parfois le public dans la confidence de ses tâtonnemens et de ses contradictions, on ne voit pas bien clairement en face de lui ce qui se prépare et ce qui se recompose. Il y a pour sûr en ce moment des choses qui se défont, on ne voit pas aussi distinctement celles qui se refont. C’est tout simple peut-être, au moins dans ce premier instant. L’opposition est un peu la fille d’une situation troublée, elle porte la marque de son origine ; elle est assez con-