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cette triste expérience en théorie, en expliquant comment l’homme, peuples et individus, est, non le véritable acteur, mais simplement l’agent toujours subordonné d’une puissance supérieure, s’il n’en est pas le jouet. Voilà ce qui fait la popularité et le danger de la doctrine de la nécessité. Elle n’est pas nouvelle, de tout temps il y a eu des esprits qui, par besoin de mettre l’ordre simple, l’ordre mécanique en toutes choses, se sont évertués à éliminer du problème scientifique tout ce qui n’était pas susceptible d’une détermination précise, tout ce qui n’était pas réductible à une loi, à une formule ; mais de nos jours seulement une pareille conception est descendue des hautes régions de la métaphysique dans les théories et les applications de la science positive. Nous avons vu comment l’expérience physiologique tend à en faire une doctrine scientifique. On essaie de nous montrer également comment l’expérience historique tend à en faire une doctrine qui ait la rigueur et la précision d’une science. On n’y parviendra pas plus sans doute dans un cas que dans l’autre, parce que la conscience humaine est toujours là pour réclamer la part de la liberté. Il n’en est pas moins vrai qu’ici encore le divorce apparaît entre la conscience et la science, et que celle-ci, en histoire comme en physiologie, prétend opposer ses révélations positives à ce qu’elle appelle les illusions du sens intime. Cette crise intellectuelle et morale fait comprendre l’heureuse opportunité des livres qui, comme ceux de MM. Michelet, Quinet, Lanfrey, protestent, non-seulement au nom de la conscience, mais aussi au nom de la science, contre les principes et les conséquences du fatalisme.

Il faut bien l’avouer, même en écartant la doctrine de la nécessité, qui lui ôte tout son relief dramatique et tout son intérêt moral, il semble que l’histoire, traitée par les méthodes nouvelles, ne laisse plus à la personnalité humaine le rôle que lui assignait l’antiquité dans la destinée des sociétés. L’action de cette fatalité, connue sous le nom de force des choses, est trop considérable, trop manifeste, pour ne pas inspirer au spectateur d’un tel drame plus de curiosité d’observation que de désir d’action personnelle. Un éminent critique de notre temps, M. Renan, l’a dit avec cette sérénité d’esprit qui lui est propre, « le gouvernement des choses d’ici-bas appartient en fait à de tout autres forces qu’à la science et à la raison ; le penseur ne se croit qu’un bien faible droit à la direction des affaires de sa planète, et, satisfait de la portion qui lui est échue, il accepte l’impuissance sans regret. Spectateur dans l’univers, il sait que le monde ne lui appartient que comme sujet d’étude, et lors même qu’il pourrait le réformer, peut-être le trouve-t-il si curieux tel qu’il est, qu’il n’en aurait pas le courage. » Tel est l’effet sur les âmes de toute spéculation qui prend un caractère plus ou moins scientifique. Il en est un peu de l’historien et du philosophe, comme