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très louable intention de rattacher toute chose à la loi du progrès. C’est la tendance constante de deux écoles dont l’une a occupé, et dont l’autre occupe encore une certaine place dans le mouvement philosophique et historique de notre siècle. Saint-Simon et Auguste Comte ont ceci de commun que la science abstraite de l’homme qui se nomme la psychologie est médiocrement de leur goût et de leur compétence. Avec leur loi de l’évolution progressive d’une part, de l’autre avec leur méthode tout expérimentale de procéder, il leur était difficile de ne point arriver à faire de l’expérience historique la mesure de la nécessité, trop souvent même de la légitimité de tous les faits qui ont pour caractère propre la puissance et la durée. C’est ainsi que Saint-Simon embrasse dans une égale admiration et une égale sympathie l’antiquité, le moyen âge et les temps modernes, la théocratie et la démocratie, ne réservant ses sévérités que pour le libéralisme parlementaire. Auguste Comte n’est pas loin de penser de même. Il n’est pas jusqu’au judicieux M. Littré qu’on ne trouve parfois trop enclin à reconnaître l’autorité des faits en dépit des réclamations de sa raison si ferme et de sa conscience si difficile.

C’est au nom de cette dernière autorité que protestent contre toutes les doctrines qui lui portent atteinte MM. Michelet, Quinet et Lanfrey, l’un avec son sens historique si sûr, éclairé par l’intime commerce avec les choses et les hommes du passé, l’autre avec sa magistrale gravité de philosophe moraliste, le troisième avec ce sentiment du droit qui ne l’abandonne jamais dans ses jugemens et ses portraits. L’histoire de France de M. Michelet est un vivant enseignement de la justice. Il faut voir M. Lanfrey briser les idoles de la terreur, et surtout la grande idole de l’empire ; il faut l’entendre revendiquer les droits de la liberté et de l’humanité en face de ces triomphans ministres de la fatalité. César, Napoléon, de même que Danton et Robespierre, sont renvoyés devant le tribunal de la conscience publique, trop longtemps dominée par le spectacle des jeux de la force et des miracles du génie. Quant au beau livre de M. Quinet sur la révolution, c’est une protestation perpétuelle, toujours éloquente, parfois admirable, contre les abus de la méthode qui tend à étouffer dans l’étreinte des formules la vie réelle des individus et des peuples, au grand mépris de la liberté et de l’humanité. « Que nous jouons légèrement avec la mort dans nos systèmes ! Il nous faut aujourd’hui l’échafaud de celui-ci, demain nous aurons besoin de cet autre, et dans cette voie, sans chercher l’excuse de la passion, notre fatalisme historique nous pousse à une cruauté qui serait risible, si elle n’offensait à ce point la nature humaine. « Cette tuerie fut un grand mal, » disent les montagnards, instruits plus tard par leurs propres calamités. Et nous, plus