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féconde pour les études historiques et esthétiques, aussi bien que pour les études psychologiques : c’est la méthode qui voit les choses d’ensemble et en embrasse les rapports.

Ces résultats d’observation et d’analyse ne portent nullement atteinte à l’ordre des vérités morales établies par le témoignage de la conscience. Si la science insiste sur la part de fatalité des choses humaines, si elle montre partout la loi sous le fait, la nécessité sous la contingence, la nature sous la volonté, elle laisse aux acteurs du drame historique, individus ou peuples, la liberté de leurs actes, la moralité de leur caractère, la responsabilité de leurs vertus ou de leurs vices, de leur sagesse ou de leur imprévoyance. Il est vrai qu’elle tend à diminuer l’orgueil de la personnalité humaine, ainsi que sa confiance dans les résultats de ses calculs et de ses efforts. Elle fait voir en effet comment cette sagesse de conception et cette vigueur d’initiative ne peuvent réussir sans la faveur des circonstances, comment surtout elles ne peuvent rien fonder, rien organiser de fort et de durable sans le concours de ces grandes forces dont l’action sourde et invisible n’en est pas moins souveraine. Cela est bien propre à faire réfléchir sur le danger des entreprises trop personnelles, sur la fragilité des révolutions prématurées, à décourager bien des initiatives téméraires, bien des utopies ardentes, en apprenant à compter avec la nature des choses, c’est-à-dire avec les nécessités économiques, avec les sentimens, les instincts, les préjugés des sociétés et des classes qui les composent. Les écoles politiques idéalistes s’instruisent, les tempéramens révolutionnaires se calment à un tel spectacle présenté par la science moderne. Que de leçons de politique pratique l’histoire ainsi faite n’offre-t-elle point aux méditations des hommes d’état !

Malheureusement la science, et surtout la philosophie de l’histoire, ne s’arrête pas toujours à ces sages conclusions. Il y a parmi les historiens et les philosophes, comme parmi les physiologistes, des esprits qui veulent l’absolu en toute chose, ne regardant pas comme une science véritable toute étude morale qui n’aboutit point à un déterminisme complet. Il s’est donc trouvé des écrivains qui ont tout ramené à la loi de la nécessité, les forces morales aussi bien que les forces naturelles de la réalité historique, les actes politiques, les créations esthétiques, de même que les impressions des climats et les passions des tempéramens. Pour cette école d’historiens et de critiques, tout ce qui est doit être ainsi qu’il est. La nécessité de la chose, une fois démontrée, répond à toutes les questions que peut poser la science. Le savant constate, décrit, explique, sans s’attacher à qualifier les personnes et les choses, les actes et les œuvres, ainsi que l’avaient fait les historiens moralistes de l’antiquité. Telle est la méthode dont M. Taine nous donne la