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vraiment dignes du nom de science les procédés principaux de la méthode des sciences physiques. Comme dans ces dernières, il s’agit de lois à découvrir, de séries croissantes ou décroissantes à établir, de statistiques à former. Que les premiers historiens qui ont essayé de faire de l’histoire une science n’aient pas songé au Novum Organum, cela est fort probable ; il n’en est pas moins certain que les progrès des sciences naturelles, dus principalement à l’excellence de leur méthode, ont été pour eux un puissant encouragement à appliquer les mêmes procédés aux sciences morales, et particulièrement à l’histoire, au moins dans la mesure où cette application est possible. Fidèles à cette méthode, Montesquieu et Vico ont cherché les lois et les véritables causes des faits politiques, soit dans l’histoire particulière de tel peuple, soit dans l’histoire générale de l’humanité, sans se préoccuper des idées de perfectibilité et de progrès. En cela, ils sont les pères de la science historique. Toute la méthode de cette science est dans une définition de l’Esprit des lois ; « les lois sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses. » Toute la science des deux grands livres de Montesquieu est dans l’application de cette définition aux réalités de l’histoire. Chercher les rapports qui existent entre les divers ordres de faits historiques, dégager par l’observation comparée et l’induction les rapports constans et par suite nécessaires qui dérivent de la nature même de ces faits, telle est la véritable méthode scientifique de l’histoire, qui ne devait être complètement pratiquée que dans notre siècle, mais dont Montesquieu a donné le précepte et parfois l’exemple. Science nouvelle est bien le titre qui convient au grand ouvrage de Vico[1], car nul n’a mieux compris le but, l’objet et la méthode de l’histoire, ainsi que l’ont traitée les historiens modernes. Retrouver l’immuable dans le variable, l’unité dans la diversité, en un mot la loi dans le fait, saisir les mêmes traits, les mêmes caractères dans cette variété d’actions, de pensées, d’institutions, de mœurs, de langues, que nous présentent les annales du monde, telle est l’idée fixe de Vico. C’est en appliquant la méthode si féconde de l’observation comparée aux diverses sociétés anciennes et modernes qu’il arrive à découvrir la loi des trois âges de l’humanité, âge divin, âge héroïque, âge humain, et qu’il a compris que certains personnages fabuleux ou même historiques, comme Hercule, Homère, Romulus, ne sont qu’une personnification des sentimens et des actions de leur époque ou de leur nation, chose dont l’antiquité ne s’était jamais doutée. Si cette science nouvelle en est restée avec Vico à des vues fort incomplètes, comme par exemple la loi des ricorsi, qui fait tourner l’humanité dans

  1. Principes d’une science nouvelle relative à la nature commune des nations.