Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a eu affaire à eux, qu’ils vous ont tiré d’un mauvais pas, on s’en détourne, on les hait presque comme des témoins importuns. Plus on a de torts, moins on pardonne : aussi l’on en veut toujours à ceux devant qui l’on a découvert ses hontes et vomi son péché.

J’ai bien souvent entendu faire l’éloge de la police anglaise, et dans le parallèle qu’on établissait entre celle-ci et la police française l’avantage ne restait point à la nôtre. C’est une plaisanterie et rien de plus. Cela tient à notre manie de toujours nous dénigrer lorsque nous nous comparons aux autres, comme si nous nous sentions naturellement assez forts pour pouvoir faire parade de nos défauts et exagérer nos faiblesses. La police anglaise, dont les services ne sont même pas gratuits, reconnaît implicitement son infériorité, car bien souvent elle nous demande des conseils ; elle écrit à la préfecture : en tel cas, que faites-vous ? et elle pousse la naïveté jusqu’à s’informer si nous ne marquons pas les repris de justice surveillés sur une partie apparente du corps, afin de toujours être à même de les reconnaître. Soyons plus justes, et sachons dire qu’aucune autre nation n’offre l’exemple d’une institution protectrice si homogène dans son principe et si multiple par ses moyens d’action. Dans les conflits politiques, elle peut nous irriter et nous exaspérer, parce que le droit en vertu duquel elle agit se heurte contre un droit que nous estimons supérieur ; mais dans la répression des crimes et délits, dans les investigations qui assurent notre sécurité, dans la surveillance qui sauvegarde nos propriétés et notre existence, elle est bien près d’être irréprochable. Si cette autorité, très limitée par les lois, méconnue, sinon calomniée par la population, s’endormait un seul jour, Paris, comme une ville mise à sac, serait livré à tous les épouvantemens du vol, de l’incendie et du meurtre. Contre ce torrent toujours prêt à se précipiter sur nous, il faut une vanne solide manœuvrée par une main énergique ; en présence de ces causes de dissolution permanentes, il faut une sentinelle alerte et qui ne sommeille jamais. Dans l’état de nos mœurs, au milieu d’une ville aussi populeuse que Paris, la mission de la police est la plus utile et en même temps la plus ingrate qu’il puisse être donné à des hommes de remplir à travers les obstacles de toute sorte dont elle est environnée.


MAXIME DU CAMP.