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C’est dans des œuvres pareilles, équitables et bienfaisantes au premier chef, qu’il faut déployer toutes les qualités d’un homme de police, la sagacité, la fermeté, la douceur. Il est fort rare que ces sortes de missions préventives ne réussissent pas. L’habileté des agens est pour beaucoup dans le résultat obtenu ; il faut dire cependant que leur tâche est singulièrement facilitée par l’espèce de terreur qu’inspire le seul mot de police. Lorsqu’un individu est mandé dans ces lieux redoutables, quelque pure que soit sa conscience, quelque nette que soit sa conduite, il arrive sentant peser sur ses épaules une lourde tradition où se mêlent confusément le souvenir de la Bastille, des lettres de cachet, du For-l’Évêque, des romans qu’il a lus, des histoires invraisemblables qu’il a entendu raconter. Il croit pénétrer dans l’antre du mystère ; il vient déjà ébranlé, troublé, oscillant entre mille craintes diverses et prêt à toutes concessions, qui du reste lui seront faciles, car on ne lui en demandera aucune qui ne soit honorable. Ces sortes d’affaires où la police intervient officieusement sont nombreuses et multiples. La vie occulte de Paris est pleine d’aventures lugubres, parfois profondément comiques, qui trouvent un dénoûment souvent inespéré à la préfecture, dans un cabinet, sourd et muet, muni de doubles, de triples portes, gardé par des garçons vigilans, et dont les murs ont entendu plus d’étranges confidences que tous les confessionnaux des églises de Paris. Fait déplorable à constater, sur mille affaires de cette nature, il y en a bien près de huit cents qui ont trait à des chantages (menaces sous conditions) en matière de mœurs. On peut dire sans exagération que le secret même de Paris est au pouvoir des hommes de la préfecture, et ce secret est bien gardé. Que des chefs de service, hommes instruits et bien élevés, cachent à l’abri de toute indiscrétion ces misères sociales, cela se comprend ; mais que penser d’agens inférieurs qu’on est forcément obligé d’employer comme intermédiaires, qui sont mal rétribués, qui n’auront plus tard sur leurs vieux jours qu’une retraite dérisoire, et qui jamais n’ont abusé des secrets qu’ils avaient pénétrés, secrets parfois terribles et dont la divulgation serait payée d’une fortune ? Le devoir professionnel appuyé sur la probité native les maintient toujours dans la ligne droite. Le personnel de la division de la sûreté publique et des services qui s’y rattachent est de 6,561 agens ; eh bien ! depuis dix années, un seul a essayé de faire du chantage à l’aide d’une aventure à laquelle il avait été mêlé. Je n’ai pas besoin de dire qu’il a été chassé ; mais, comme on a laissé à ses camarades le soin de le mettre à la porte, il a, je le crains bien, descendu les escaliers plus vite qu’il n’aurait voulu. Il ne faut pas croire que l’on garde à ces hommes une vive reconnaissance, loin de là ; lorsqu’on