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malfaiteurs sont nombreux, incessans, et si bien de toutes les heures qu’il n’y a ni fête ni dimanche pour les employés qui en sont chargés. Je ne sais pourquoi il existe rue de Harlay un poste qui s’appelle la permanence, car la préfecture de police est la permanence même. Jour et nuit on crie au secours de son côté, et elle se porte partout où l’on réclame son assistance ; son action publique est considérable, elle touche aux intérêts les plus chers de la société et de la justice ; elle est à la fois une arme offensive et défensive, elle attaque et protège ; c’est ce double et spécial caractère qui la fait si puissante et si redoutable. Elle a aussi une action occulte très importante et que je dois indiquer, car par son intervention officieuse elle rend des services qui, pour être presque toujours ignorés, n’en sont pas moins singulièrement précieux. Dans ce cas, elle agit, pour ainsi dire, comme chef de famille, et dénoue les différends secrets. Chaque jour, on l’invoque pour des faits qui ne tombent pas sous l’application de la loi pénale, ou que celle-ci ne pourrait empêcher de se produire. Parfois, et sous une forme terrible, il est un danger qu’il faut conjurer sans retard, à tout prix. Où courir, à qui s’adresser ? A la justice ? mais ses façons de procéder, sagement lentes, ne permettent pas d’avoir recours à elle : avant qu’elle ait libellé ses paperasses, compulsé son code, coiffé sa toque et revêtu sa toge, avant qu’elle se soit entourée de l’appareil qui l’environne toujours, un mal irréparable aura été commis. On vient à la police et on lui dit : Sauvez-moi ! A moins de difficultés insurmontables, elle sauve toujours, fût-ce son plus mortel ennemi, car il est quelque chose qu’elle poursuit plus encore que ses adversaires, c’est le scandale ; elle n’en veut à aucun prix, et partout où elle peut l’atteindre, elle l’étouffe. Un jeune homme a été l’amant d’une femme, mère de deux enfans et mariée à un assez haut personnage fort jaloux. Après l’avoir quittée, il s’est lié avec une fille entretenue qui vit conjugalement chez lui. Un jour qu’il est absent, la fille trouve dans un secrétaire toutes les lettres de l’ancienne maîtresse, imprudemment conservées, et immédiatement elle écrit à celle-ci : « Si demain à deux heures vous ne m’avez pas envoyé 50,000 francs à trois heures vos lettres seront remises à votre mari. » La femme mariée reçoit cette sommation, ne peut rejoindre son ancien amant que le lendemain, lui fait part avec épouvante du coup qui la menace. Elle n’a pas les 50,000 francs exigés, l’amant ne les a pas non plus, ou ne se soucie guère de les donner. Il court à la police. Le temps pressait, il était midi. Une heure après, toutes les lettres étaient détruites, la femme était rassurée, un mari continuait à vivre en paix, et deux enfans pouvaient grandir sans voir rejaillir sur eux le déshonneur de leur mère.