dire, livré au service de sûreté ; celui-ci, abandonné à ses propres ressources, se serait fort probablement égaré en recherches vaines, et le crime fût resté impuni.
A la masse de renseignemens qu’elle a toujours sous la main, à ceux que ses agens recueillent, il faut ajouter ceux qui lui sont transmis par voie indirecte ou inconnue. Le fait est à peine croyable, et cependant il est hors de doute. La préfecture reçoit quotidiennement une quantité énorme de lettres qui lui donnent des avis vrais ou supposés. Les secrétaires spéciaux, ceux que l’on appelle assez spirituellement les écosseurs, n’ont point assez de leur matinée pour décacheter tous les plis qui leur parviennent et les diriger vers les services qu’ils intéressent. Il existe à Paris des personnes qui ne se coucheraient pas sans avoir écrit au préfet de police tout ce qu’ils ont entendu, vu, remarqué dans la journée. On ignore quels sont ces indicateurs officieux, et l’on ne cherche même pas à le savoir. Dès qu’un crime est commis, il se trouve de bonnes gens inoccupés qui se mettent l’esprit à la torture pour découvrir quel peut en être l’auteur, et les lettres pleuvent dru comme grêle. Pour vingt qui sont ineptes, il s’en trouve parfois une qui donne un renseignement utile. On tient compte de tout, et il n’y a billevesée si folle qui ne soit l’objet d’un commencement d’enquête. La plupart de ces missives ne sont point signées, et émanent évidemment d’hommes désœuvrés qui veulent avoir quelque importance à leurs propres yeux, ou qui de bonne foi pensent rendre service à la société.
Non-seulement la préfecture a tous les sommiers judiciaires, qui ne sont de fait que le relevé des condamnations prononcées, mais elle garde avec soin le dossier particulier de tout individu qui, pour une cause ou pour une autre, lui a passé par les mains. Une simple contravention donne lieu à la formation d’un dossier et à un numéro matricule aussi bien qu’un vol à main armée. La police est le vestibule de la justice ; nul individu ne comparaît devant les tribunaux sans avoir été examiné par elle et sans avoir vu vérifier ses antécédens. J’ai entendu un mot caractéristique : nous n’envoyons au procureur impérial que des criminels complets, c’est-à-dire accompagnés de toutes les pièces, de quelque nature qu’elles soient, qui peuvent éclairer la justice sur leur compte. Ce travail est énorme ; il implique une correspondance très détaillée avec tous les parquets de l’empire, des communications incessantes avec les tribunaux du département de la Seine. Dans des archives tellement considérables qu’une section composée de plusieurs employés est chargée uniquement de les ranger dans un ordre déterminé, on possède l’état civil et la biographie criminelle de tous les malfaiteurs