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guère qu’ils remplacent ainsi la marque, abolie en 1832. Quelques-uns ont dû supporter un véritable martyre et rendraient des points aux naturels de la Nouvelle-Zélande. En forçat évadé de Cayenne eût gagné quelque argent à se montrer à la foire : on le lisait comme une affiche ; sur le front : Toujours le même, sans chagrin ; sur la poitrine : Vive les enfans de Paris ; sur le bras droit, un mousquetaire et ces mots : A moi ; sur le bras gauche : Pas de camarades à la pêche ; un buste de femme : Ambrosine ; sur la main gauche : Sans pitié pour les parches, mort à la société ; sur le sein gauche, un poignard ; à l’aine, un chevron ; sur les reins, une figure inachevée. Ceux qui ont quelque prétention à être des malins ne se tatouent jamais : il est sans exemple qu’un escroc ait sur le corps un signe factice quelconque. Un jour qu’on déshabillait un faiseur habile pour prendre son signalement, il dit en hochant la tête : « Des tatouages, moi ? pas si bête ! » Quelques vieux voleurs, de ceux qu’on appelle des chevaux de retour, ayant été reconnus plusieurs fois à certains tatouages, arrivent sans trop de peine à les décomposer : d’un vase de fleurs ils font un bouquet de feu d’artifice, d’une femme nue un artilleur ou un grenadier ; mais il est rare que ces ruses parviennent à tromper l’œil très pénétrant de la police, qui est accoutumé à regarder de près et à bien voir.

Toutes ces investigations, que l’on consigne sur des bulletins nominatifs de façon à toujours pouvoir les consulter en temps opportun, ne donnent isolément qu’un nombre de renseignemens assez restreint : éparses, elles ne sont pas d’une nécessité absolue ; mais lorsqu’on les groupe, qu’on les consulte toutes, qu’on les complète l’une par l’autre, il est rare qu’on n’en fasse pas jaillir la vérité. C’est là en somme tout le mystère de la police : bien connaître son instrument et savoir en jouer. Pour cela, que faut-il ? Une tradition qui s’acquiert par l’habitude et une persistance que rien ne doit lasser. Le service administratif, ou l’on enregistre les sommiers judiciaires, les locataires des garnis, le nom des commissionnaires et celui des cochers, peut sembler à des gens superficiels établi en vertu de cette manie paperassière qui est le type même de l’administration française. Une telle opinion serait absolument erronée. Sans les documens fournis par le service sédentaire, les recherches du service actif seraient le plus souvent infructueuses. Un exemple fera saisir à la fois le mécanisme et l’utilité de cette organisation. M. Poirier-Desfontaines, marchand de bronzes, rue Saint-Honoré, 422, vieillard assez taciturne, vivait très sédentaire avec un seul domestique. Le 5 janvier 1851, les voisins apprennent qu’il est parti pour la campagne ; le lendemain, son domestique va le rejoindre, disant que tous deux reviendront avant huit jours. Trois