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canne, ni bâton, qui ne serviraient qu’à les embarrasser, chacun d’eux a seulement dans sa poche un cabriolet et une ligotte. Le cabriolet est une corde longue environ de 25 centimètres, faite de cette corde spéciale qu’on appelle le septain, parce qu’elle est composée de sept brins tordus ; il est muni de trois nœuds, et chacune des extrémités est fixée à un bout de bois qui a exactement la forme d’un manche de vrille. On entoure le poignet droit de l’individu arrêté et l’on tient à la main les deux manches de manière à pouvoir serrer à volonté et à faire cabrioler tout récalcitrant trop rétif. La ligotte est également une corde très solide, mais sans nœuds et assez longue pour pouvoir ficeler les bras et les jambes d’un homme qui résisterait violemment. Les agens n’ont point d’autre arsenal quand ils vont à la bataille. Du reste je dois dire que la carrure des épaules et la large poigne de tous ceux que j’ai vus sont fort rassurantes, et laissent penser qu’on n’en aurait pas facilement raison. Se déguisent-ils ? Ils n’aiment guère à en convenir, mais le fait me paraît d’autant moins niable qu’ils ont dans leur vocabulaire particulier un mot, se camoufler, qui n’a pas d’autre signification. Chateaubriand, arrêté en juin 1832, raconte dans ses Mémoires que, pendant qu’il attendait son ordre d’écrou dans la cour de la préfecture de police, il vit entrer des agens vêtus en charbonniers, en forts de la halle, en invalides, en joueurs d’orgue, en crieurs des rues. J’ai vu moi-même, il y a une vingtaine d’années, le même individu couvert d’une blouse, coiffé d’une méchante casquette, distribuer le matin des bulletins de vote à l’entrée d’une mairie et le soir apparaître au bal des artistes à l’Opéra-Comique en habit noir, fort élégant, portant une plaque au côté et affectant tous les dehors d’un diplomate étranger. Quoique cette habitude de déguisement qui était une tradition de la vieille police soit passée de mode aujourd’hui, elle n’est pas encore tout à fait abandonnée. Il a existé autrefois un vestiaire spécial où les agens trouvaient les costumes dont ils avaient besoin ; mais peu à peu ces loques ont été mangées par les vers et jetées à la borne. Actuellement on n’a recours au travestissement que par exception ; il serait aussi inexact de dire que les agens ne se déguisent jamais que de dire qu’ils se déguisent toujours. On les laisse libres, et, pourvu qu’ils remplissent bien leur mission, il importe peu que ce soit sous un vêtement ou sous un autre. Il n’y a pas fort longtemps que deux inspecteurs furent chargés de faire une surveillance très importante dans un des hôtels de Paris, exclusivement fréquenté par les étrangers de distinction. L’affaire était scabreuse et exigeait de l’habileté. Un des agens se donna pour ancien ambassadeur, et son compagnon, vêtu en domestique, prit le rôle de valet de