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Etienne Fossard et Drouillet, qui en effet étaient les auteurs du crime. Une telle pénétration est le fruit d’observations perpétuellement renouvelées, d’une expérience que chaque jour fortifie, et d’une tension d’esprit que rien ne fait fléchir. Il en est des facultés intellectuelles comme des muscles du corps ; à force de les exercer, on les développe outre mesure. C’est ainsi que les agens de la sûreté acquièrent une mémoire surprenante, et qu’il leur suffit parfois d’avoir aperçu un visage pour le reconnaître malgré les modifications qu’on a pu lui faire subir. Un jour, un inspecteur du service de la sûreté, passant sur le quai aux Fleurs, avise un individu dont la figure éveille en lui un souvenir confus. A tout hasard, il se met à suivre l’homme, qui, se voyant filé, monte dans un omnibus. L’agent en fait autant, s’installe en face de lui et se met à le regarder fixement. Le pauvre diable se trouble et dit à voix basse : Ne m’arrêtez pas devant tout le monde. Lorsque l’omnibus, continuant sa route, fut arrivé sur le quai de l’Horloge, devant la rue de Harlay, l’inspecteur descendit avec sa capture, qu’il réintégra au dépôt. C’était un voleur qui, le matin même, avait trouvé moyen de s’évader d’un des bureaux de la préfecture où l’agent l’avait aperçu en traversant un couloir. Le hasard y est pour beaucoup, soit ; mais il faut être attentif à toutes les révélations inattendues des circonstances fortuites. A force de ne penser qu’à l’objet de leur mission, ils semblent n’avoir plus d’autre sentiment que celui d’une investigation perpétuelle. S’ils pénètrent dans une chambre encore pleine de sang et dont les corps assassinés n’ont point été enlevés, ils ne s’attendrissent pas, ils ne perdent pas leur temps en lamentations superflues ; avant tout autre soin, ils regardent par où le meurtrier est entré, par où il a pu fuir, de quelle façon il a accompli le crime, quel vol il a commis. Lorsque le chef du service de sûreté, qui à cette époque était M. Allard, eut vu le cadavre de la duchesse de Praslin effroyablement mutilé, il dit à M. Gabriel Delessert, anéanti d’émotion : « Ça, monsieur le préfet, c’est un coup d’amateur. » Ce seul mot contenait toute la révélation du drame.

Pour aller à ces expéditions, où leur vie est à la merci de gens violens, n’ayant plus rien à craindre, souvent exaspérés, on pourrait croire que les inspecteurs sont armés ; on se tromperait. Les criminels qu’ils doivent arrêter appartiennent à la justice, et ils mettent un certain point d’honneur à les lui livrer intacts, sains et saufs. Il y a des horions de temps à autre, ceci n’est point douteux ; mais les agens ont une telle habileté pour saisir un individu, paralyser ses moyens d’action, pour l’emballer, comme ils disent, qu’il est bien rare qu’ils aient à déployer leur force. Ils ne portent ni