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peut aspirer légitimement aux grades de sous-brigadier et de brigadier ; après vingt-cinq ans de service consécutifs, il obtiendra sa retraite et une pension de 750 francs. Bien peu y atteignent, un sur dix tout au plus. Au premier abord, l’existence de ces hommes paraît assez douce ; ils sont bien vêtus, ils ont des abris convenablement chauffés, et leur promenade régulière ne semble pas trop fatigante. L’apparence est trompeuse ; il n’y a pas de métier plus pénible. En temps normal, le service est réglé de façon à occuper les agens huit heures par jour. L’irrégularité forcée des heures de repas, les brusques transitions de température, lorsque pendant l’hiver on rentre au poste après la faction, la nécessité de rester dans des vêtemens mouillés les jours de pluie, les longues et énervantes stations sur les ponts, au coin des rues, à l’angle des carrefours, par le vent, le soleil, la grêle ou la neige, finissent par ébranler les tempéramens, les plus solides, et par jeter sur des lits d’hôpital des hommes qui semblaient destinés à vivre centenaires. Aussi les vacances sont fréquentes, et le corps se renouvelle incessamment. Cela est extrêmement fâcheux, car l’éducation d’un tel service ne s’acquiert que par une longue pratique. Le soldat qui sort de son régiment arrive avec des principes d’autorité excessifs ; par cela même qu’il a été forcé d’obéir sans pouvoir raisonner, il est enclin à contraindre les autres à l’obéissance passive. A moins d’aptitudes exceptionnelles, il faut trois années et plus pour faire avec un excellent soldat un sergent de ville passable, qui ne durera guère que douze ou quinze ans. Leur devoir, — et chacun des ordres du jour qui leur sont adressés le leur répète sous toutes les formes, — est de faire respecter les règlemens sans jamais mécontentés la population, tâche spécialement difficile avec un peuple aussi nerveux que celui de Paris, et dont cependant on doit reconnaître qu’ils ne se tirent pas trop mal. A force de vivre dans les mêmes quartiers, — et c’est en cela que la mesure inaugurée après le décret de 1854 est excellente, — ils en connaissent tous les habians, peuvent faire plusieurs observations aux délinquans avant de leur déclarer contravention. Aux habitudes agressives d’autrefois, excusables jusqu’à un certain point chez des agens clairsemés, se hâtant trop parce que le temps leur manquait toujours pour prévenir et qu’ils avaient à peine celui de réprimer, a succédé, grâce au grand nombre et à la diffusion raisonnée des sergens de ville, une sorte de gronderîe familière qui avertit plutôt qu’elle ne menace. Pour les ivrognes, ils sont admirables ; ils les traitent avec une sorte de douceur indulgente qui n’est peut-être pas dénuée d’une certaine jalousie naturelle chez des hommes à qui l’ébriété même est sévèrement défendue ; ils les arrêtent, ceci n’est