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provoquées par le meurtre du prince Michel. La loi serbe ne reconnaît pas la confiscation ; il est fâcheux que la régence ait permis de la rétablir par une voie indirecte et de donner ainsi un dangereux exemple.

On a pu voir par ce qui précède que pour nous la participation du prince Alexandre au complot n’est pas une invention de la haine. Nous avons eu beau faire effort aussi longtemps que possible pour le croire injustement accusé, la conviction que nous avons déjà laissé paraître a fini par s’imposer à notre esprit. Les dépositions des principaux conjurés, celle même de ses propres parens, de Sima Nenadovitch, sont accablantes : de l’argent avait été fourni à Paul Radovanovitch ; ce chef de la conspiration était en correspondance confidentielle avec Tripkovitch, le secrétaire du prince ; une lettre écrite de la prison et saisie pendant l’enquête constate une fois de plus leur entente, et contient l’offre d’annuler toutes les preuves qui chargent le prince, si celui-ci consent à envoyer 30,000 florins à ce qui restera de la famille Radovanovitch. Il n’est donc pas douteux que l’exilé ait accueilli la pensée d’un mouvement qui devait le ramener au pouvoir, et qu’il ait fourni les moyens de le provoquer ; mais il est probable que ses agens ne le mirent pas dans la confidence des moyens qu’ils comptaient employer. Lui-même avait abdiqué en 1859 ; le prince Michel ne se déciderait-il pas, devant les premières menaces, à faire de même ? On avait exagéré aux exilés le mécontentement de la Serbie. On dit encore moins la vérité aux princes détrônés qu’aux princes régnans. Si le meurtre se présenta réellement à l’esprit du prétendant comme un moyen auquel, en cas de résistance, il faudrait peut-être recourir, les sophismes ne durent pas lui manquer pour s’habituer à cette idée. Kara-George passe pour avoir été mis à mort par’ ordre de Milosch ; son héritier, quand il n’écoutait que son ambition, put se persuader qu’il remplissait un devoir filial ; la vendetta est encore en honneur chez plusieurs peuples slaves. Il faut, pour être juste, tenir compte de toutes ces circonstances ; mais on ne peut nier qu’en employant de pareils instrumens les Kara-Georgevitch n’aient autorisé toutes les suppositions.

Le 11 novembre, le lendemain du jour où avait été jugée la dernière série d’accusés, une proclamation de la régence annonçait la levée de l’état de siège ; avec de violentes paroles contre les Kara-Georgevitch, elle résumait les événemens récens et les résultats du procès ; désormais, disait-elle, le peuple serbe, rendu à lui-même et serré autour du trône de son jeune prince, travaillerait tout ensemble à développer ses institutions et à réaliser la grande idée nationale à laquelle s’était voué le patriote qu’elle pleurait. C’est bien là en effet la double tâche que paraissent s’être proposée les