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On s’est étonné qu’un homme présenté par la justice serbe comme l’inspirateur du crime ait été condamné à une peine moins forte que ses complices. C’est que l’on ignorait la loi serbe, dont une des dispositions, empruntée au code autrichien, ne permet de condamner à mort que le coupable qui fait des aveux, ou celui que deux témoins ont vu commettre le crime. Il n’y avait ici ni aveu, ni flagrant délit constaté. Le tribunal prononça donc le maximum de la peine que la loi autorise dans les cas où la culpabilité n’est démontrée que par des preuves morales. L’extradition du prince exilé avait été demandée à Pesth. Le ministère hongrois, se fondant sur le côté politique du procès, l’avait refusée ; mais en même temps le procureur-général, jugeant, sur les pièces qui lui avaient été communiquées, qu’il y avait tout au moins matière à de graves soupçons, avait intenté des poursuites au nom de la couronne. S’il était prouvé qu’on eût abusé de l’hospitalité de la Hongrie pour tramer la mort d’un prince et pour troubler la tranquillité d’un état voisin, la justice hongroise saurait punir. Au fond, il est heureux pour la régence que les choses se soient passées ainsi. La présence à Belgrade du prince déchu n’aurait pu manquer d’être un embarras pour ceux qui l’avaient servi autrefois ; il leur eût été pénible de voir prisonnier et condamné celui auquel ils avaient dû jadis les débuts de leur fortune. D’ailleurs, le procès s’instruisant et se jugeant à Belgrade au lendemain du meurtre d’un Obrenovitch et sous le règne d’un autre, les partisans des Kara-Georgevitch auraient toujours pu mettre en suspicion l’indépendance des juges et récuser leur arrêt.

La justice hongroise parut d’abord disposée à pousser activement le procès. Au mois d’août, le prince Alexandre, qui avait été jusque-là laissé en liberté, fut mis en état d’arrestation ; en octobre, il fut envoyé à Semlin pour y être confronté, ainsi que ses secrétaires, avec ceux des conjurés qu’avait encore entre les mains la justice serbe ; malheureusement celle-ci, en faisant exécuter l’arrêt prononcé contre les vrais chefs du complot, s’était enlevé les moyens de donner à cette confrontation tout l’intérêt qu’elle aurait pu avoir. Depuis lors, le procès a langui. Vers la fin de l’hiver, on avait annoncé que le procureur-général, convaincu qu’il résultait de l’instruction des charges contre le prince Georgevitch, le traduisait devant le tribunal de Pesth ; maintenant au contraire on écrit qu’il vient d’être mis en liberté. Nous ignorons si on a levé en même temps le séquestre qui, sur la demande du gouvernement serbe, avait été mis sur les biens du prince en Hongrie et en Roumanie. Quant à ceux qu’il possédait en Serbie, le tribunal de Belgrade et la skoupchtina, cédant à la passion du moment, avaient décidé qu’ils seraient vendus, et que le produit en serait appliqué aux frais du procès et des mesures militaires