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on a cru devoir évoquer du moins le nom à la tête d’une étude qui ne fera que résumer en quelque sorte une de ses œuvres les plus charmantes et les plus estimées[1]. L’alliance de la Pologne et de la Lithuanie est un souvenir cher entre tous à une nation qui ne vit plus presque que de souvenirs, et Szajnocha lui a consacré quatre beaux volumes. Est-ce trop de demander pour le même sujet quelques pages fugitives dans la Revue ? Le pacte conclu à Horodlo et ratifié depuis à Lublin a eu une place importante dans l’histoire de toute une moitié de l’Europe, dans l’histoire du monde slave ; il a subsisté pendant cinq siècles, et il subsiste encore aujourd’hui dans la conscience de tout un peuple, dans la foi des « générations posthumes nées d’une mère assassinée ; » à ce titre seul, il mériterait déjà d’être connu avec plus amples détails. Dans un temps d’ailleurs où la fatale maxime du compelle intrare semble passer de l’église à l’empire, où la violence, la ruse et la fourberie s’ingénient à forger des unités mensongères, et, Dieu le veuille ! éphémères, il peut ne pas être sans intérêt de voir comment se forma et se consolida entre deux peuples une union toute volontaire et libre, union mémorable qui, cimentée encore tout dernièrement par le sang versé à Varsovie et à Wilno, remonte par ses origines dans le moyen âge, dans ces temps ingénus et barbares qu’on nomme le XIVe siècle.


I

Le monde paraît bien petit dans ce XIVe siècle, ce n’est encore qu’un fragment du globe, et, comme eût dit Pascal, un raccourci de planète. Tout un hémisphère demeure ignoré jusque dans son existence ; l’Asie se dérobe dans un nuage de fables et de terreur, l’Afrique ne déroule aux regards que ses côtes baignées par la Méditerranée, et l’Europe elle-même, l’Europe civilisée et chrétienne, ne s’étend guère que des rivages de l’Atlantique jusqu’aux bords de la Vistule. Une bulle du pape Innocent VI, de l’année 1356, désigne le royaume de Pologne comme la dernière limite de l’extrême Occident, in finibus christianitatis, in frontario infidelium. Au-delà de ce royaume et de son fleuve, la Vistule, on entrevoyait des contrées vagues, fermées à la lumière de l’Évangile, presque autant fermées à la clarté du ciel : on y constatait un phénomène qui de nos jours n’est connu que dans les régions boréales. « En Lithuanie, dit le grave chroniqueur du temps, Dlugosz, la durée de l’hiver est de dix mois ; le soleil luit alors bien bas à l’horizon et pour quelques

  1. Karol Szajnocha, Hedvige et Jagello, 4 vol., 2e édition. Léopol, 1866. On n’a pas négligé toutefois de consulter les auteurs qui ont traité le même sujet (Voigt, Narbutt, Caro, etc.). Pour l’histoire de la diète de Lublin, on s’est surtout servi du Procès-verbal de cette diète, publié par le comte Dzialynski.