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le Germania. L’orgueil obstiné de Midhat-Pacha, le redouté gouverneur de Bulgarie, et l’incapacité ou la lâcheté d’un consul autrichien amenèrent une collision où périrent, égorgés par les soldats turcs, le Bulgare Iwan Voïnof et le Serbe Zvetko Pavlovitch, porteur d’un passeport de son gouvernement. L’émotion fut profonde en Serbie. Cet incident donna lieu, pendant que continuaient toujours les préparatifs militaires, à un échange de notes assez vives entre M. Garachanine et Fuad-Pacha. Celui-ci finit par désavouer indirectement Midhat-Pacha en déclarant que le sultan accorderait une indemnité à la famille de Zvetko Pavlovitch. L’Autriche blâma et rappela son consul. Cette attitude résolue du gouvernement serbe n’était pas faite pour déplaire au pays ; malheureusement la politique suivie à l’intérieur n’obtenait pas le même assentiment. En dépit de la proclamation par laquelle le prince au début de son règne avait annoncé qu’il voulait inaugurer le règne de la loi, on n’avait encore que le gouvernement personnel. Souvent violent et cruel avec Milosch, le despotisme avec le prince Michel était plein de bonnes intentions et avait horreur du sang ; mais il était parfois un peu étroit et tracassier. Milosch, si vous l’inquiétiez, vous nommait à quelque haute fonction ; vous partiez pour vous rendre à votre poste, vous n’y arriviez pas : à la traversée de quelque obscure forêt, l’ennemi du prince disparaissait sans que personne eût l’indiscrétion, de jamais demander de ses nouvelles. Comme un vrai chef de tribu, Milosch se mêlait de tout ; les femmes venaient se plaindre à lui de leurs maris, les maris de leurs femmes, et il remettait souvent assez brutalement la paix dans les ménages. On raconte l’histoire de deux couples qui ne s’accordaient pas, et qui étaient venus en même temps lui apporter leurs plaintes ; sans appeler ni juge ni pope, il ordonna aux deux maris de permuter. Les unions ainsi improvisées furent, ajoute la chronique, aussi fécondes qu’heureuses.

Avec le prince Michel, on n’avait à craindre ni sanguinaires violences, ni bizarres caprices ; mais, très sûr de vouloir le bien, très convaincu que son peuple, jeune encore et ignorant, avait besoin, pour apprendre à marcher, d’être conduit à la lisière, il s’alarmait un peu vite en voyant s’éveiller chez la bourgeoisie des villes l’esprit de critique et de discussion. De ce que l’on a si bien appelé chez nous les libertés nécessaires, tout ce que possédait la Serbie en 1867. C’était ce principe de droit public, que le souverain ne peut lever d’impôts qui n’aient été consentis par le peuple, ni faire sans son concours die lois organiques. La plénitude du pouvoir constituant résidait bien ainsi en théorie dans la skoupchtina ; mais cette assemblée ne se réunissait que tous les trois ans et pour quelques