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sultan la résistance. La France et la Russie, que suivaient l’Italie et la Prusse, avaient déjà poussé en 1862 à l’évacuation des forteresses. Quant au cabinet de Vienne, qui s’y était opposé en 1862, son action fut toute contraire en 1866 : c’est que déjà M. de Beust rêvait de réconcilier entre elles et avec leur souverain les diverses races soumises au sceptre des Habsbourg. Or mécontenter la Serbie, n’était-ce point alarmer la Croatie et faire de Belgrade, à deux pas de Neusatz et d’Agram, le centre de la propagande panslaviste chez les Slaves du sud ? Pour ce qui est de l’Angleterre, les idées s’y sont bien modifiées depuis quelques années au sujet de la Turquie : les Anglais commencent à comprendre que l’Orient, quoi qu’on fasse, doit se transformer, et que les races chrétiennes y sont les héritières nécessaires des Osmanlis. Sans donner d’avis formel, lord Stanley déclarait volontiers qu’à son avis il faudrait « que les Roumains et les Serbes devinssent plutôt les alliés que les sujets des Turcs. »

Habilement conduites par M. Ristitch, les négociations aboutirent ; le 3 mars 1867, le grand-vizir écrivit au prince Michel pour lui annoncer que le sultan lui faisait remise des forteresses ; tout ce qu’il exigeait, c’était qu’à côté du drapeau serbe le drapeau ottoman continuât de flotter sur la citadelle de Belgrade. Le prince répondit en exprimant l’intention de se rendre à Constantinople dès qu’il saurait son voyage agréé ; il y fut reçu bientôt après avec beaucoup de distinction. En retournant à Belgrade, il passa par Bucharest. Sa rentrée à Belgrade fut triomphale ; les canons turcs et serbes tonnaient, la population poussait des zivio enthousiastes. Le 18 avril, après une lecture solennelle du firman, le pavillon de la principauté fut arboré sur la forteresse à côté de celui du sultan. Les Turcs évacuèrent tous les points qu’ils occupaient encore.

Depuis leur départ, forteresse et quartier turc sont restés à peu près dans l’état où ils les avaient laissés. La vaste citadelle, avec tout son système de batteries étagées depuis les bords du Danube et de la Save, dont elle domine le confluent, jusqu’au sommet du plateau qui porte la ville, est presque vide. La mosquée est murée ; quelques officiers habitent le spacieux konak du pacha, et quelques soldats les grandes casernes neuves élevées il y a quelques années à peine ; on a installé les forçats dans les fossés, et de l’esplanade intérieure comme des glacis ils travaillent à faire une promenade. Un café s’est établi sur un rempart d’où l’on voit la Save errer en longs détours dans cette plaine basse que le Danube et son affluent forment en face de Belgrade. Il faudrait démolir ces bastions ébrèches : l’on ferait ainsi de ce côté place à la ville, et des maisons neuves pourraient s’élever dans une magnifique situation ; mais ces