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personnel, à l’instruction, qui élève l’intelligence, au travail, qui adoucit et orne la vie, à l’économie, qui assure l’avenir de la famille, à l’exercice des droits civils, qui améliorent les cités, et des droits politiques, qui font la force des états, à la paix enfin, bien suprême de l’humanité que les orthodoxies ont toujours empêché ; Voilà ce que l’on dit de part et d’autre avec des apparences de raison.

À ce point de sa durée, une orthodoxie paraît une force oppressive ou du moins coercitive, qui retient un peuple dans l’ignorance pour le dominer, la science paraît une force impie, un principe de dissolution et d’immoralité tourné contre la religion : mais si l’on fait attention que c’est l’élément commun des orthodoxies qui constitue cette dernière et qu’il n’est jamais en cause, un esprit sincère, exempt de terreurs et de préjugés, s’aperçoit bientôt que la chute des orthodoxies n’intéresse pas la religion, non plus que la vague qui monte et s’abaisse n’intéresse l’existence de la mer ; il ne voit dans l’antagonisme des élémens sociaux que cette lutte pour l’existence à laquelle rien n’échappe, où les ressorts de la nature viennent incessamment se retremper. Il faut donc que l’orthodoxie et la science se combattent ; mais le vrai terrain de la religion reste neutre, il est toujours possible aux hommes de s’y donner la main. L’obstacle vient de la première ; ainsi les Latins et les Grecs ont encore prouvé tout récemment qu’ils ne peuvent s’accorder sur les questions d’orthodoxie. La science au contraire réunit les hommes d’un même pays et d’un pays à l’autre, car d’une part elle ne procède que par le raisonnement et ne fonde la conviction que sur l’évidence personnellement acquise, de l’autre elle n’a aucune forme arrêtée, elle modifie sans cesse et librement ses expressions. La science est absolument la même à Athènes, à Berlin et à Rome.

Il résulte de là que, partout où la science est en progrès, l’orthodoxie est en décadence ; elles marchent en sens contraire d’un pas égal. S’il venait un jour où la science eût rallié à elle tous les élémens d’une société, l’orthodoxie locale disparaîtrait en même temps. C’est ce qui est arrivé pour le polythéisme, à la chute duquel la science grecque a plus contribué que le christianisme naissant. De nos jours, presque toutes les orthodoxies sont en décadence sans qu’aucune d’elle soit sur le point de s’anéantir ; le brahmanisme dans l’Inde perd du terrain devant le progrès de la science européenne et de ses applications ; il en est de même de l’orthodoxie hellénique, de celle des Latins et même des demi-orthodoxies protestantes des peuples germaniques ; les églises musulmanes, malgré le dédain de la science qu’elles ont inspiré aux populations, voient leur force diminuer à Constantinople et au Caire. La Russie est à cet égard l’un des pays du monde les plus arriérés, grâce à