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il n’était pas possible qu’une lutte violente ne se produisit point. Aussi, durant les premiers siècles, les communautés chrétiennes cachaient-elles leur enseignement et leurs rites, afin de les soustraire à une puissance politique qui leur était hostile. Il leur fallut une grande énergie d’action et de volonté, une confiance singulière dans l’avenir pour soutenir un pareil combat sans autres secours qu’un enseignement encore vague et des rites sans solennité. Il est juste aussi de dire que dès le commencement la prédication chrétienne trouva des points d’appui fort utiles chez des hommes riches et influens de l’empire romain ; c’est ce que prouvent l’histoire des persécutions et la qualité des martyrs. Le nombre de ces adhérens de bonne famille alla en croissant, et les communions chrétiennes en étaient remplies lorsque Constantin adopta la foi nouvelle.

Une lutte toute semblable fut soutenue dans l’Inde par le bouddhisme, réaction sans causes extérieures que nous sachions, et qui venait porter le trouble dans une puissante et séculaire organisation politique et religieuse. Quand le fils de Mâyâ, Çâkya-Mouni surnommé le Bouddha, fils de rajah et rajah lui-même, entraînait hors des cités les peuples avides de l’entendre, il ne leur enseignait qu’une morale très pure confirmée par des miracles étonnans ; mais, lorsqu’à sa mort le premier concile se réunit pour fixer les principaux points du dogme et organiser une église, on vit naître une orthodoxie qui, en appelant au sacerdoce non-seulement les castes aryennes, mais les castes les plus infimes, bouleversait la société et la sapait dans sa base. Le bouddhisme fut donc, lui aussi, une semence de discorde jetée au sein du brahmanisme : on enseigna au milieu des persécutions ; on eut des renégats et des martyrs, des confesseurs, des missionnaires et des saints, jusqu’à ce que la vieille orthodoxie, plus forte que l’orthodoxie naissante, l’expulsa de son sein et la força de chercher fortune au dehors. Le christianisme eut plus de succès dans l’empire : il conquit tout l’Occident et s’étendit fort loin en Asie ; mais comme de ce côté il ne sut pas s’organiser en une puissante orthodoxie soutenue par toutes les forces séculières, les populations non aryennes de ces contrées retournèrent sans beaucoup de peine à des dogmes mieux appropriés à leur race quand l’islamisme vint s’offrir à elles. Aujourd’hui il serait plus facile d’ôter toute religion aux musulmans que de leur faire adopter le christianisme.


IV

Il nous reste à exposer comment finissent les orthodoxies et à définir les lois générales de leur décadence et les causes de leur