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absorption politique et religieuse à la fois. Si une existence nationale eût été donnée à temps aux populations helléniques, elles eussent été bientôt aussi ennemies du tsar que les Allemands ont pu l’être du pape, car l’influence du tsar n’eût pu être que nuisible à leur autonomie politique et religieuse.

Les époques chez un même peuple ne sont pas non plus indifférentes à l’œuvre et au succès des orthodoxies. L’Inde et l’Occident fournissent là-dessus des faits décisifs. Quand les Aryas débouchèrent dans les vallées de l’Indus, ils n’avaient pas encore les élémens de brahmanisme qui sont dans le Vêda, car ces hymnes furent en majeure partie composés sur ce fleuve et sur ses affluens. Les conquérans s’étendirent sur le Caboul et jusqu’à la Saraswatî, qui, entre l’Indus et le Gange, va du sud au nord et perd ses eaux dans le désert. Leur établissement orthodoxe commença donc à se faire après la conquête, naquit avec leur puissance territoriale, grandit et se consolida avec elle. Il ne semble pas que pendant un millier d’années il y ait eu dans la société brahmanique aucune lutte sérieuse causée par l’orthodoxie aryenne. Celle-ci au contraire, par la netteté de ses formules et des prescriptions énoncées dans ses codes, fut une garantie de paix intérieure et de progrès vers le sud. Ce fut seulement à l’époque du Bouddha que le principe de la liberté individuelle et de l’égalité religieuse fut proclamé et introduisit dans une société pacifiée à la manière romaine un trouble auquel le bouddhisme succomba. Quand une orthodoxie naît avec une civilisation placée, comme le fut le brahmanisme, dans des conditions très simples, elle en devient naturellement et sans effort la forme principale d’après laquelle toutes les autres fonctions sociales se combinent et s’harmonisent. Parvenue à son âge adulte, elle est l’expression même de la civilisation d’un peuple, et quand celle-ci vient à déchoir, elle la suit dans sa décadence. La chute du brahmanisme a commencé depuis longtemps, précipitée tour à tour par le bouddhisme et par les invasions mongoles et arabes ; mais sa dernière période n’a commencé qu’à l’arrivée des Européens, qui sont armés d’un principe supérieur de civilisation.

Le christianisme survint en pleine civilisation gréco-romaine. Les principes qu’il apportait, en contradiction manifeste avec l’état social et religieux de l’empire, jetaient dans la société un ferment puissant de discorde et des causes de dissolution. Cette société était née et avait grandi dans des croyances dont l’origine était la même que celle du christianisme, puisqu’elles venaient, comme lui, des premiers dogmes aryens ; mais en s’accommodant au reste de la civilisation pélasgique, hellénique et latine, elles avaient formé une sorte d’orthodoxie polythéiste que la doctrine chrétienne venait contredire. Comme ce problème se présentait en pleine civilisation,