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Nous ne pouvons passer en revue l’histoire de toutes les orthodoxies. Disons seulement quelques mots de l’église chrétienne. Elle partage elle-même son histoire en trois périodes, la lutte, la souffrance, le triomphe, et elle fait dater celui-ci de Constantin. Ce n’est pas que cet empereur ait proscrit les autres religions ; mais, chrétien lui-même, il fit asseoir la nouvelle religion sur le trône, remplit de chrétiens les fonctions politiques et civiles dans tout son empire, et donna à sa foi une liberté d’action et de propagande dont elle n’avait pas joui auparavant. Ce prince fut pour cela vénéré dans l’église, quoiqu’il ne méritât, comme homme et même comme empereur, qu’une médiocre estime. Le bouddhisme avait de même, six siècles auparavant, trouvé son Constantin dans le grand roi converti, Açôka. L’alliance de l’orthodoxie et de la politique consommée par l’empereur romain n’a plus cessé, ni dans l’église d’Orient ni dans celle d’Occident. Nous n’avons pas à raconter une histoire que tout le monde connaît. Remarquons seulement que l’église a suivi les mouvemens de la politique et s’y est accommodée, soit que la société fût féodale, soit qu’elle changeât cet ancien état pour s’organiser en monarchies. Les princes de l’église trouvèrent à ce changement quelque avantage, puisque les premiers pairs qui devinrent rois ne pouvaient réussir qu’avec l’appui de l’église, déjà centralisée dans Rome. L’orthodoxie romaine fut quelque temps la puissance politique prépondérante, et jouit d’une autorité que l’union des pouvoirs entre les mains d’un seul étendait également sur les rois, sur les seigneurs et sur les peuples. Depuis lors, l’alliance a été en s’affaiblissant, parce que les rois, pour reconquérir leur indépendance, qu’ils avaient aliénée, furent obligés de s’appuyer sur le peuple, c’est-à-dire sur cette foule des profanes qui représente le principe de la liberté individuelle. La réforme lui porta un second coup en détachant d’elle des populations entières. Le troisième coup lui fut porté par la révolution française. Qu’est-ce aujourd’hui que l’orthodoxie latine eu égard à son passé ? Elle est en présence de peuples qui ne lui doivent rien et qu’elle a longtemps déprimés, d’institutions laïques qui la contredisent, de sciences qui tendent à la refaire, c’est-à-dire à la défaire, de peuples germaniques qui lui sont hostiles, d’un mouvement général de civilisation sur lequel la barque de Pierre est portée comme une nacelle sur la mer. Le clergé romain sent néanmoins que la possession de quelque pouvoir politique lui est nécessaire, et croit que le salut de son orthodoxie est à ce prix. En réalité, ce n’est pas l’alliance qui se brise, c’est l’allié qui disparaît. Les peuples ne peuvent pas être les alliés de Rome, parce que Rome est dans le sanctuaire et que le peuple est hors du temple ; il cherche ailleurs la lumière, qui a cessé de lui venir de ce côté. Et nous, ne prenant parti pour