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III

Une fois déterminées les conditions générales où se trouvent les orthodoxies, nous devons examiner de quelle manière et par quels moyens elles se propagent et parviennent à établir leur domination. L’histoire comparée des nombreuses églises orthodoxes de l’antiquité et des temps modernes permet de réduire à trois ces procédés : ce sont l’enseignement, les rites caractéristiques et les alliances. Là où l’enseignement a fait défaut, l’orthodoxie a manqué de son principal point d’appui, la classe sacerdotale n’a pu s’organiser en un véritable clergé. C’est ce qui a eu lieu par exemple chez les anciens Hellènes et même chez les Latins : les collèges sacerdotaux y ont toujours été très multipliés et indépendans les uns des autres, même lorsqu’il y eut à Rome un souverain pontife et que le prince fut devenu une sorte de pape, de tsar ou de ministre des cultes ; mais lorsque les églises chrétiennes se formèrent et s’abouchèrent entre elles, que les conciles donnèrent aux articles de foi une expression décisive, l’orthodoxie s’accrut rapidement. L’unité de croyance fut puissamment soutenue par le mode d’enseignement religieux qui était suivi, et qui obligeait les néophytes à passer par des degrés successifs d’initiation avant d’être déclarés chrétiens. L’église bouddhique suivait la même marche depuis plusieurs centaines d’années lorsque Jésus commença sa prédication, et elle la suit encore dans toutes les contrées où cette religion est en vigueur. Le recueil[1] où les règles de l’enseignement sont énoncées fut traduit dans les langues de tous les peuples chez qui les missionnaires bouddhistes vinrent s’établir, et comme il comprend aussi les lois relatives à la hiérarchie ecclésiastique et les formules développées de la métaphysique et de la morale, les croyances orthodoxes furent identiques dans toute la partie du monde vouée à la religion du Bouddha. Les divergences qui se produisirent plus tard dans quelques pays, par exemple au Tibet, ne furent que les conséquences locales de certains dogmes dont les formules primitives n’avaient pas été suffisamment développées.

Nous savons aussi, par les recherches faites dans ces dernières années, que les dogmes chrétiens ne furent pas tout d’abord aussi explicites qu’ils le sont aujourd’hui. Par conséquent l’enseignement des premiers siècles n’avait pas la précision qu’il a elle plus tard. Les premiers temps du christianisme furent les plus féconds en hérésies ; chaque hérésie aboutissait à quelque formule de foi qui

  1. Un exemplaire complet de ce recueil, connu sous le nom de Tripitaka, existe depuis peu de temps à la Bibliothèque impériale, et attend un traducteur français.