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reposent en effet sur l’existence simultanée d’un clergé et d’un peuple de fidèles. Il est même arrivé que le clergé, descendant au rang des fidèles et se faisant semblable au peuple, s’est déchargé sur un seul du soin de s’instruire, de discuter les questions et de fixer les formules de la foi. Dans l’un comme dans l’autre cas, les laïques reçoivent toutes faites ces formules, les répètent sans qu’il soit besoin pour eux d’en comprendre la valeur idéale, et les prennent seulement pour règles de conduite bien ou mal interprétées. C’est ce qui est arrivé dans presque toutes les religions, à des degrés divers, et d’autant plus qu’elles ont revêtu plus complètement la forme d’orthodoxies. Dans l’Inde brahmanique, l’abnégation des laïques a été si grande, que les différentes castes ont consenti à ne recevoir que des parts inégales de la doctrine sacrée, à participer aux cérémonies du culte dans des mesures diverses et même à y demeurer étrangères. Aussi quand le bouddhisme, œuvre non d’un prêtre, mais d’un rajah, vint proclamer l’égalité religieuse entre les hommes et les appeler tous au sacerdoce, il vit accourir à lui les castes inférieures, que le brahmanisme avait dépouillées de ce droit naturel. Il en fut de même en Occident, car le sacerdoce y était une institution aristocratique et de caste, non-seulement chez les Perses, les Égyptiens et les Juifs, mais même dans le monde gréco-romain, lorsque le christianisme s’efforça de les rallier tous.

Plus tard ces deux religions, qui semblaient devoir rendre à l’individu les droits qui lui appartiennent, les lui retirèrent, et leurs églises fondèrent les orthodoxies les plus hostiles à la pensée individuelle qui eussent encore existé. La séparation des prêtres et des laïques, fut rendue si profonde que le mot même d’église (le sangha des bouddhistes) devint dans le peuple synonyme du mot clergé, tandis que la signification première et légitime est celle d’assemblée de fidèles. A cet égard, il n’y a aucune différence entre l’église latine et celle d’Orient, quoique celle-ci prétende mériter seule le titre d’orthodoxe : les orthodoxies sont ce qu’on les fait ; les assemblées du clergé latin ont eu autant de droits à discuter les doctrines qu’en ont eu celles du clergé grec, et si l’orthodoxie fondée par ces dernières est demeurée invariable depuis tant de siècles, cela prouve moins la justesse de leurs idées que l’ignorance et la torpeur où prêtres et peuples étaient tombés. Que dans ces pays les intelligences renaissent à la liberté et que la désastreuse influence de la Russie vienne à s’amoindrir, on verra bientôt ou les églises désertes ou les idées religieuses agrandies et transformées.

Bien qu’une sorte de convention impose silence aux opinions divergentes dans les clergés et parmi les fidèles, la loi fatale qui préside aux opérations de notre intelligence n’est pas annulée pour