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qu’il voudra, quand il le voudra, et, après tout, de ne rien faire, si telle est sa volonté.

Est-ce à dire que les vœux des Slesvigois soient incertains? Nullement; ils éclatent en toute circonstance et sous toutes les formes. Les députés qu’on a fait nommer dans le Slesvig du nord pour le parlement prussien ont protesté énergiquement; ils ont refusé de prêter serment au roi Guillaume jusqu’à ce qu’un vote populaire eût légalisé l’état de leur pays, et on les a exclus de la chambre, de sorte que le Slesvig n’est plus représenté. Ce qu’il y a de curieux, c’est que les députés slesvigois n’ont pas moins la faculté de siéger au parlement fédéral et au parlement douanier, où ils n’ont pas à prêter serment au roi de Prusse, mais où leurs protestations sont tout aussi vaines. Les populations elles-mêmes ne cessent de manifester de la façon la plus vive leur volonté de rester danoises; elles opposent à toute assimilation une résistance désespérée; elles émigrent plutôt que de se soumettre, elles n’aspirent qu’à se rattacher au Danemark. Récemment encore, elles tenaient à témoigner de leurs sentimens en envoyant un cadeau touchant à la jeune princesse de Suède qui allait devenir la femme de l’héritier de la couronne danoise. La Prusse ne s’inquiète guère de ce que pensent des populations dont elle s’est engagée à consulter les vœux. Elle s’est réservé le temps, et provisoirement elle s’efforce de germaniser le Slesvig en le séparant le plus qu’elle peut du Danemark. Elle interdit jusqu’à l’introduction des journaux danois, elle remplit toutes les fonctions civiles d’employés allemands, elle bannit la langue nationale des églises et des écoles, elle persécute les familles de ceux qui se réfugient dans le royaume, et c’est ainsi que se poursuit cette conquête du Slesvig, entreprise par la Prusse au nom du droit de nationalité. Que peut le Danemark seul, ne trouvant aucun appui dans la diplomatie européenne?

Le roi Christian s’est consolé de ses revers dans ces dernières années en relevant sa maison par les mariages de ses enfans, par de grandes alliances dynastiques. Il a marié sa fille aînée au prince de Galles, une autre de ses filles au grand-duc héritier de Russie; son fils, le roi George de Grèce, a épousé la fille du grand-duc Constantin. De toutes ces alliances, aucune n’a été aussi bien accueillie que celle qui vient d’unir la jeune princesse de Suède et le prince royal de Danemark. Celle-ci répond à un instinct populaire; elle est comme une vision anticipée de cette union nationale dont se bercent les imaginations dans les trois royaumes du nord. Nous ne savons ce que deviendra cette union scandinave dont on parle souvent; selon toutes les vraisemblances, elle s’accomplira quelque jour librement, spontanément, par l’accord des trois pays et même par l’entente des dynasties, qui ne sont pas insensibles à cette pensée patriotique. Elle rencontre sans doute encore plus d’un obstacle; il n’y a pas moins un travail permanent, patient, obscur, qui ne consiste pas toujours seulement en rêves et en théories. Plus