Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 82.djvu/1016

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restrictions et qu’on ne pouvait faire un pas sans rencontrer une barrière. Aujourd’hui l’initiative individuelle ou collective reprend sa force et son rôle par l’indépendance parlementaire, par le droit de présenter les lois ou de les amender, par le droit d’interpellation, par la liberté relative de la presse et des réunions publiques. Avec ces moyens, la politique de la France sera ce qu’on la fera. Les principes de droit public maintenant remis en honneur, fussent-ils reconnus sans enthousiasme, n’auront pas moins leurs conséquences nécessaires; ils réagiront sur tout, ils pénétreront la substance des institutions. La première condition est de ne pas déplacer toutes les questions pour le plaisir d’agiter les esprits, de commencer par le commencement au lieu de courir à la fin, de bien comprendre que, si la liberté n’a pu encore être sérieusement et irrévocablement fondée en France, cela tient à ce qu’on n’a pas pris le bon chemin. Il n’y a désormais qu’une manière d’assurer la liberté, c’est de l’infiltrer dans les mœurs, de l’identifier avec les intérêts, d’en faire une réalité pratique et invincible, en tenant compte de l’état nouveau, des difficultés et même des périls créés par le suffrage universel. Qu’on s’attache à cette œuvre, la plus grande assurément de toutes celles qui peuvent être tentées, qu’on s’applique à chasser jour par jour l’arbitraire de toutes ses citadelles administratives, qu’on accoutume les populations à comprendre leurs droits et à les exercer avec mesure, avec une intelligente fermeté : qu’importe après cela que le gouvernement marche de bonne volonté ou qu’il garde des arrière-pensées? Il sera bien obligé de se plier à la nécessité, et il n’existera qu’à ce prix. Au fond, le pays trouvera toujours le gouvernement qui sera la déduction naturelle d’une situation libéralisée, le couronnement de l’édifice qu’il aura élevé lui-même en le reprenant par la base. Ce ne sera plus le gouvernement qui fera le pays, ce sera le pays qui fera son gouvernement. Alors la liberté sera une chose sérieuse et inexpugnable au lieu d’être sans cesse à la merci des guerres de défiances et de réticences.

Et maintenant revenons au sénat et à ses travaux, à travers lesquels il ne serait pas difficile de discerner ces conflits de préoccupations qui s’agitent en quelque sorte au-dessus des choses elles-mêmes. Qu’a-t-on vu en effet dès l’apparition de l’acte provoqué par l’interpellation des 116, prorais par le message du 12 juillet et préparé par le nouveau ministère? Le gouvernement, cela n’est pas douteux, a tenu à se montrer large; il a ouvert la main, et il en a laissé tomber l’initiative des lois pour le corps législatif, le droit d’amendement, la compatibilité des fonctions de ministre et des fonctions de député, l’élection par l’assemblée de son président et de son bureau. Au fond, il s’est visiblement préoccupé de maintenir certains traits originels de la constitution de 1852; il a laissé distinguer que le pouvoir personnel, en se partageant, tenait encore à ne pas abdiquer tout à fait; il a glissé dans des dispositions libérales d’autres dispositions de détail qui peuvent au besoin être une atténua-