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naïvement qu’un régime politique ne pouvait se dessaisir de la dictature tant que son principe était contesté, c’est-à-dire tant que tout le monde n’était pas d’accord. M. de Persigny, quant à lui, n’en est plus là, si nous ne nous trompons, ou du moins il ne croit plus indispensable de proroger la liberté jusqu’à la réconciliation universelle des opinions. Malheureusement il semble toujours rester quelque chose de cette singulière pensée dans la politique du gouvernement. Il se défie visiblement de cette expérience nécessaire dans laquelle il s’engage; il craint qu’on ne se serve contre lui de ces libertés qu’il accorde, ce qui serait en vérité fort possible; il comprend bien qu’il a dans son passé des points vulnérables qui feront sa faiblesse le jour où une discussion sérieuse pourra les atteindre et où il sera désarmé de ses moyens commodes de défense; c’est le secret de ses ambiguïtés, de ses tergiversations. Voilà pourquoi, en donnant beaucoup, il a l’air de garder encore quelque arrière-pensée d’omnipotence, et en outre, comme il n’a rien fait pour se préparer à cette vie nouvelle, pour s’assurer le concours d’hommes formés à la virilité de l’action par l’habitude de la responsabilité dans les luttes publiques, il est encore plus embarrassé; il hésite dans ses choix, il ne sait même pas toujours très bien le nom de ceux à qui il va confier un ministère. Il semble faire du provisoire avec les hommes comme avec les choses.

Les partis de leur côté n’ont pas moins de perplexités intimes et de sous-entendus en face de ce mouvement qui commence. Après avoir peu espéré, ils en sont à savoir ce qu’ils doivent croire et ce qu’ils ont à faire. Ils ne sauraient nier les progrès qui s’accomplissent, et ils ne sont pas assez aveugles pour les repousser uniquement parce qu’ils émanent de l’initiative du pouvoir; mais à leur tour ils n’osent se prononcer nettement sur la valeur d’innovations qu’ils supposent pouvoir être rétractées ou atténuées dans la pratique. Il est clair que ce qu’ils ont de confiance est tempéré par beaucoup de scepticisme. Ils ne veulent pas s’engager, ils craignent d’être pris pour dupes ou de s’affaiblir en paraissant pactiser avec un expédient de circonstance. Accoutumés à voir l’empire s’identifier avec un système politique qui était d’intention comme de fait la négation hautaine et radicale du libéralisme constitutionnel, ils attendent sans désarmer, sans se livrer, gardant leurs griefs, dont ils se nourrissent, et tous leurs doutes, devant une expérience qu’ils ne considèrent, eux aussi, que comme une expérience. Nous ne parlons pas de ceux qui se sont proclamés des irréconciliables et qui ne demanderaient pas seulement au régime actuel de s’améliorer. Voilà le vrai, voilà le nœud de la situation telle qu’elle est aujourd’hui. Le gouvernement ne croit pas complètement à la sincérité de ceux qui lui demandent des réformes libérales, c’est-à-dire à leur intention de se borner à des réformes. L’opposition, dans son for intérieur, ne croit ni à la sincérité absolue du gouvernement, ni à l’irrévocabilité de ses réso-