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impies et mangeurs de chair crue. » Ce qui s’est passé sur l’Indus dans d’immenses proportions s’est produit partout ailleurs dans des proportions moindres et dans des conditions différentes ; mais partout l’orthodoxie a été la force protectrice et l’élément conservateur des races. N’en avons-nous pas aujourd’hui même une preuve vivante dans l’orient de l’Europe, où les Hellènes, après avoir adopté une orthodoxie chrétienne, n’ont pas répugné à se mêler avec des hommes du nord et même avec des gens de race touranienne, comme les Bulgares, lesquels avaient, eux aussi, adopté cette orthodoxie, tandis que ces mêmes Hellènes sont restés invinciblement séparés des hommes de cette même race touranienne qui, sous le nom de Turcs, avaient adopté l’islamisme ? Ce ne sont donc pas les races qui séparent les orthodoxies, ce sont les orthodoxies qui maintiennent la séparation des races. Si au temps où nous vivons il était démontré que l’avenir de l’humanité repose sur la fusion des races, le premier intérêt des peuples serait de renoncer d’abord à leurs orthodoxies privées. La civilisation d’Occident semble marcher dans ce sens ; mais les habitans du reste de la terre sont encore bien loin de penser ainsi.

L’exemple que je viens de citer montre que l’orthodoxie n’agit pas seulement dans le sein d’une société pour en tenir, comme dans l’Inde, les élémens séparés et subordonnés, mais qu’elle agit de même, de peuple à peuple. Il y a eu en Orient deux systèmes orthodoxes très voisins l’un de l’autre et liés par une commune origine, qui pourtant ont poussé l’antagonisme de deux peuples frères jusqu’à la guerre : ce sont ceux de l’Inde et de la Perse. Y a-t-il deux orthodoxies moins divergentes que celles des Latins et des Grecs ? Cependant les croisades les ont montrées s’animant l’une contre l’autre jusqu’à la fureur, et aujourd’hui que ces temps de délire sont loin de nous, nous venons de voir repoussée par des raisons sacerdotales une convocation adressée par le pape des Latins à des évêques d’Orient qui acceptent de rester sujets des musulmans. Les histoires sont remplies de pareils exemples ; elles sont une suite de luttes d’orthodoxies se défendant les unes contre les autres et entraînant les nations sous leurs drapeaux.

Quand une orthodoxie s’est constituée au sein d’une société, sa condition inévitable est une double lutte, lutte intérieure contre les forces sociales qui peuvent lui opposer quelque obstacle, lutte extérieure contre les orthodoxies étrangères. Il y a des peuples chez qui l’orthodoxie ne tend pas à manifester son action au dehors, parce que ce sont de grandes sociétés fortement établies, qui n’ont guère besoin pour vivre et pour grandir des ressources que d’autres vont chercher à l’étranger : ainsi fut l’Inde. Lorsque des conditions sociales toutes différentes font naître dans une