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d’agréer tant d’hommages, si mit à confesser publiquement qu’il ne s’en croyait point digne, et qu’il avait eu, lui aussi, ses momens de faiblesse, alors qu’il avait signé sa démission; mais ces momens de triomphe furent de courte durée, et d’autres épreuves attendaient M. de Broglie. De Français, il était devenu Belge, et par conséquent sujet du roi Guillaume de Hollande, la Belgique ayant été cédée ou vendue, comme on voudra, par le catholique empereur d’Autriche au chef protestant de la maison d’Orange. Dès le 8 octobre 1814, l’évêque de Gand avait fait parvenir au congrès de Vienne un mémoire rédigé par ses grands-vicaires sur la situation fâcheuse que cette annexion allait créer pour l’église belge. Le futur roi Guillaume en eut connaissance, et ce fut l’origine de sa haine implacable contre M. de Broglie. Ce prélat, qui n’avait point reculé devant Napoléon pour défendre ce qu’il avait considéré comme les droits de l’église romaine, n’hésita pas davantage à se mettre en avant pour revendiquer contre Guillaume d’Orange ce qu’il appelait la cause de la liberté religieuse en Belgique. Les détails de cette querelle nous mèneraient trop loin. Elle devint bientôt si vive que le 28 novembre 1815 M. de Broglie était cité à comparaître devant le conseil d’état du roi de Hollande par un décret qui le traitait de séditieux. L’évêque de Gand, toujours malade, se rappelant qu’il n’avait pas toujours su résister, sous les verrous, à l’oppression de ses ennemis, rédigea à la hâte une protestation contre toutes les concessions qui pourraient lui être arrachées par la force, et, pour plus de précaution, se réfugia en France. Le 8 novembre 1817, il fut condamné par contumace à la déportation. Par une invention inqualifiable, le gouvernement hollandais trouva opportun de faire dresser un jour de marché, sur la place principale de Gand, un échafaud où figurait, entre deux forçats condamnés au pilori, un énorme poteau où se lisait, imprimée en gros caractères, la sentence portée contre l’évêque de cette ville[1]. Le gouvernement impérial, s’il avait eu trop souvent recours à la violence, avait su du moins éviter l’emploi de ces indignes moyens qui, pour atteindre un adversaire, blessent au cœur les plus légitimes sentimens de toute une population. De Paris, l’évêque de Gand continuait à pourvoir, malgré le décret de bannissement, à l’administration de son diocèse par l’intermédiaire de deux vicaires-généraux qui, sans prendre ce titre, gouvernaient cependant au nom du légitime pasteur. Il n’en était pas à faire l’apprentissage de ce rôle singulier d’un prélat qui dirige spirituellement la conscience des ouailles dont il est matériellement séparé. De plus en plus malade, de plus en plus languissant, mais jamais abattu d’esprit, il mourut, en

  1. M. de Gerlach, Histoire des Pays-Bas, t. Ier, p. 352.