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jet présenté par M. le plénipotentiaire de France : il serait malheureux qu’un dessein aussi naturel, sur lequel se réunissaient les deux parties, restât sans effet par des raisons qui n’appartiennent nullement aux fonctions que le chef de l’église catholique s’est religieusement astreint d’observer. La religion que professe une grande partie des nations en guerre actuellement, la justice et l’équité générale, l’humanité enfin, s’intéressent également à ce que sa sainteté soit mise en liberté, et les soussignés sont persuadés qu’ils n’ont qu’à témoigner ce vœu, et qu’à demander au nom de leurs cours cet acte de justice au gouvernement français, pour l’engager à mettre le saint-père à même de pourvoir, en jouissant d’une entière liberté, aux besoins de l’église catholique[1]. »


Cette démarche de ses adversaires ne prit point toutefois l’empereur au dépourvu. Il connaissait déjà par les dépêches du duc de Vicence cette disposition favorable des cours alliées à l’égard du saint-père. Maintenant qu’il était à peu près perdu, devenant tout à coup sage et généreux, quand il n’y avait plus de mérite à l’être. Napoléon s’efforça de devancer les événemens en publiant le 10 mars un décret par lequel il annonçait rétablir le pape dans la possession de ses états. Le même jour, il mandait au duc de Rovigo :


« Écrivez à l’officier de gendarmerie qui est auprès du pape de le conduire, par la route d’Asti, de Tortone et de Plaisance à Parme, d’où il le remettra aux avant-postes napolitains. L’officier de gendarmerie dira au saint-père que, sur la demande qu’il a faite de retourner à son siège, j’y ai consenti, et que j’ai donné ordre qu’on le transportât aux avant-postes napolitains[2]. »


Le temps avait marché, et le cortège du pape, si lente qu’eût été sa façon de voyager, avait fini par se rapprocher un peu de l’Italie. L’ordre envoyé par l’empereur trouva donc Pie II rendu à Savone, où il était arrivé vers la fin de février, le commandant Lagorse ayant eu soin, au lieu de prendre la route directe, de le faire passer par Brives, Limoges, Montauban, Carcassonne, Castelnaudary et Montpellier. Ses instructions lui avaient expressément recommandé d’éviter autant que possible le séjour des grandes villes, afin d’épargner au saint-père la fatigue des visites à recevoir, en réalité pour empêcher qu’il ne devînt l’objet d’un accueil trop empressé de la part des populations. M. Lagorse, qui ne paraît pas avoir jamais manqué d’égards pour le pape pendant ce long trajet, commença par le faire arrêter dans une petite propriété qui lui appartenait dans le Limousin, et lui présenta à bénir tous les membres de sa famille. Peu à peu, à mesure que les nouvelles du théâtre de

  1. Manuscrit de 1814, par -M. le baron Fain, p. 411.
  2. Lettre de l’empereur au général Savary, duc de Rovigo, Chavignon, 10 mars. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXVII, p. 300.