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habitée par le saint-père, et dont il avait fallu par précaution enlever en toute hâte les meubles les plus précieux[1].

Au début, la fortune était pourtant venue, comme par un reste d’habitude, se ranger sous les drapeaux de son ancien favori. Pendant un rapide et trop fugitif instant, il avait dépendu de Napoléon, vainqueur à Montmirail et à Montereau, de faire preuve de sagesse à la fois et de générosité, de sagesse à l’égard de ses ennemis coalisés en acceptant les propositions de Francfort, de générosité envers son ancien prisonnier en lui rendant sans condition la liberté; mais le succès, nous l’avons déjà trop souvent remarqué, ne rendait Napoléon ni sage ni généreux. Peut-être même faudrait-il ajouter que pour ce joueur effréné il était presque devenu un piège fatal, car il lui ôtait tout d’abord la possession de lui-même et cette merveilleuse clairvoyance qui avait été l’un des attributs de son génie. Les brillantes, mais éphémères victoires remportées dans les derniers jours de février et les premiers jours de mars 1814, si elles ajoutèrent beaucoup à la gloire du capitaine, ne devaient point profiter à la réputation du politique. C’était à coup sûr en tirer un triste avantage et fort peu d’honneur que de s’en prévaloir pour écrire contre tout bon sens, d’un côté au duc de Vicence, afin qu’il se montrât plus exigeant aux conférences de Châtillon, et de l’autre au commandant Lagorse, pour qu’il éloignât encore un peu plus le pape des chemins qui le rapprochaient de l’Italie. Que pouvaient contre le cours des événemens tant d’orgueil insensé, tant de fol entêtement, tant de calculs impuissans et presque puérils, si l’on osait se servir de ce mot quand il s’agit de Napoléon? Dans la seconde quinzaine de mars, la fortune avait de nouveau changé; elle était retournée du côté des alliés, et les négociations entamées à Châtillon étaient rompues définitivement. Chose singulière, et qui n’a peut-être pas été assez remarquée, la dernière pièce émanée de ce congrès avorté avait justement pour but de s’occuper des affaires du saint-père. Une note signée par le comte de Stadion, le comte de Razoumowsky, MM. Cathcart, Humboldt, Charles Stuart et lord Aberdeen, c’est-à-dire par les ministres plénipotentiaires des puissances coalisées, dont la plupart ne professaient pas la religion catholique, avait été remise le 19 mars 1814 au duc de Vicence. Elle était ainsi conçue :


« En insistant sur l’indépendance de l’Italie, les cours alliées avaient l’intention de replacer le saint-père dans son ancienne capitale. Le gouvernement français a montré les mêmes dispositions dans le contre-pro-

  1. « Faites ôter de Fontainebleau tout ce qui est meuble précieux et surtout ce qui pourrait servir de trophée. » L’empereur au roi Joseph, Troyes, 6 février 1814. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXVII, p. 117.