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bler ici pour vous manifester nos sentimens et nos intentions. Nous avons la ferme persuasion, — et pourrions-nous penser autrement? — que votre conduite, soit que vous restiez réunis, soit que vous soyez de nouveau frappés de dispersion, sera conforme à votre dignité et à votre caractère. Toutefois nous vous recommandons, quelque part que vous soyez transférés, de faire en sorte que votre attitude, que toutes vos actions expriment la juste douleur que vous causent les maux de l’église et la captivité de son chef. Nous laissons au cardinal-doyen du sacré-collège, pour vous être communiquées, des instructions écrites de notre main qui vous serviront de règles dans les circonstances où vous vous trouverez. Nous ne doutons pas que vous ne demeuriez fidèles au serment que vous avez prêté au moment de votre exaltation au cardinalat, et que vous ne montriez le plus grand zèle à défendre les droits sacrés de l’église. Nous vous commandons expressément de fermer l’oreille à toute proposition relative à un traité sur les affaires spirituelles ou temporelles, car telle est notre absolue et ferme volonté[1]. »


Les membres du sacré-collège étaient vivement émus; plusieurs versèrent des larmes, et tous lui promirent fidélité et obéissance. Quelques instans après, s’étant rendu à la tribune de la chapelle, Pie VII y fit une courte prière, puis descendit dans la cour par le grand escalier du château. Le commandant Lagorse l’attendait respectueusement au dernier degré. Aidé de son bras, le pape monta dans la voiture qui allait l’emporter vers une destination inconnue avec cette même attitude tranquille et résignée qu’il avait déjà si bien su garder lorsque, dans des conditions toutes semblables, il lui avait fallu jadis partir de Rome pour Savone et de Savone pour Fontainebleau. Les cardinaux désolés entouraient la voiture; quelques rares spectateurs qui avaient pénétré à travers les grilles du château s’étaient joints à eux, retenant avec peine l’expression de leur indignation et de leur stupeur. Alors, étendant son bras hors de la portière, Pie VII donna sa bénédiction à ce petit nombre de fidèles qui se demandaient avec anxiété à quel sort il était encore réservé.

Le sort du pape, comme celui de tant d’autres souverains, comme celui de toutes les nations de l’Europe, comme celui de la France elle-même, allait se décider maintenant dans les plaines de la Champagne. Trois jours après son départ, la guerre était en effet reprise; le canon retentissait, non plus, hélas! comme autrefois au-delà de nos frontières, loin, bien loin de nos foyers, et sous les murs des capitales ennemies; il se faisait entendre aux portes mêmes de Paris, à quelques lieues de cette résidence impériale tout à l’heure

  1. Allocution du pape Pie VII aux cardinaux réunis au palais de Fontainebleau, citée par le cardinal Pacca, Œuvres complètes, t. Ier, p. 363.