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rédigées les instructions remises à M. Lagorse. Celui-ci devait se présenter au saint-père comme chargé de le ramener à Rome. En réalité, il avait ordre de le promener à petites étapes à travers toute la France, de le conduire lentement, par les chemins les plus détournés, vers la ville de Savone, où d’avance un crédit avait été ouvert au receveur-général du département de Montenotte, afin de pourvoir à l’entretien du souverain pontife sur le pied de 12,000 fr. par mois. Quant aux cardinaux, M. Lagorse devait leur enjoindre d’avoir à quitter Fontainebleau dans quatre jours. Ils partiraient par groupes, à des heures différentes, sous la conduite d’un officier de gendarmerie, pour des destinations qui leur seraient plus tard indiquées; ils paieraient eux-mêmes leurs frais de route et d’escorte, car le gouvernement impérial, qui prenait à la veille de sa chute de si rigoureuses mesures, n’avait même plus à ce moment l’argent nécessaire pour faire les frais de sa police[1].

Il était difficile de mettre plus de mauvaise humeur dans l’accomplissement d’un acte qu’aux yeux du public, surtout du clergé français, on aurait aimé à donner pour l’équivalent de la mise en liberté du pape. A Fontainebleau, Pie VII et les membres du sacré-collège ne s’y trompèrent pas un instant. Ils comprirent qu’il s’agissait uniquement de les transporter dans quelque résidence éloignée du théâtre de la guerre, afin de les y garder avec une plus complète sûreté. Lorsque le commandant Lagorse vint s’acquitter de sa commission. Pie VII demanda vainement d’emmener avec lui deux ou trois des membres du sacré-collège. M. Lagorse répondit que ses instructions s’y opposaient expressément. « Le pape aurait dans sa voiture M. Bertalozzi, et lui-même le suivrait avec les deux valets de chambre de sa sainteté. » Le pape n’insista point. Le lendemain matin, après avoir entendu sa messe, il fit appeler près de lui tous les cardinaux présens à Fontainebleau. Sa physionomie était sereine, le sourire était sur ses lèvres; cependant de graves pensées l’occupaient visiblement. Craignant de ne pouvoir plus faire entendre sa voix aux membres du sacré-collège, il leur adressa ces paroles :


« Sur le point d’être séparé de vous, sans connaître le lieu de notre destination, sans savoir même si nous aurons la consolation de vous voir une seconde fois réunis autour de nous, nous avons voulu vous rassem-

  1. Voici le texte de la lettre adressée aux cardinaux. « Monsieur le cardinal, j’ai l’honneur de vous prévenir que son excellence le ministre de la police générale est chargé de vous notifier des ordres dont l’exécution ne peut être différée. Je ne pourrais donc recevoir aucune réclamation, et dès lors il est inutile de demander un délai pour réclamer auprès de moi. Vous donnerez par votre soumission une nouvelle preuve de votre respect pour les ordres de votre souverain. Agréez, etc. Le ministre des cultes, Bigot de Préameneu. » 31 janvier 1814.