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trouvâmes préparé pour nous un logement comfortable. Le gouverneur de Kantong-niaï était un petit vieillard de soixante-quinze ans, à la physionomie maligne, pour ne pas dire méchante. Il se fit lire la lettre de Siam, en prit copie, et, avant de nous autoriser à continuer notre voyage, ne manqua pas de nous faire au sujet de la France mille questions saugrenues. Nous étions attendus avec impatience dans la province voisine, celle de Simia. On nous conduisit à notre arrivée vers une charmante petite case, construite exprès pour nous en bambous et en feuilles toutes fraîches encore. Les enfans et les femmes, qui se faisaient une fête de nous voir, avaient conseillé cette attention dans l’espoir de nous retenir au moins un jour entier ; mais nous nous étions façonné un cœur absolument insensible, et nous ne prîmes à Simia que deux heures de repos. Les autorités, déçues dans leur curiosité, blessées dans leur amour-propre, firent transporter nos minces bagages en nous laissant nous-mêmes à pied malgré nos réclamations. La terre est stérile, la pierre se montre partout à fleur de sol et ne laisse croître qu’une herbe rare et brûlée par le soleil. À midi, la chaleur était accablante ; je sentais comme des aiguilles de feu qui m’entraient dans le crâne en provoquant une sorte d’étourdissement continu. Le soir et le matin seulement, nous pouvions respirer. Une nuit, le thermomètre étant descendu à 12 degrés au-dessus de zéro, nous nous réveillâmes grelottant de froid.

Quelques rizières isolées, établies dans des quartiers de forêt incendiés, se montraient de loin en loin, cultivées par les sauvages. Pour se mettre à l’abri des animaux féroces, les propriétaires de ces misérables champs ont élu domicile à cinquante pieds en l’air. Ils ont construit au sommet de grands arbres, en partie découronnés de leurs branches, des cases grises qui ressemblent à de vastes nids d’oiseaux de proie. Ils arrivent chez eux par des échelles longues, étroites et pliantes. En cheminant à travers ce triste pays, nous rencontrâmes un troupeau de buffles : à la vue du drapeau français porté par un indigène, ces animaux s’émurent, déjà ils se disposaient à commencer la charge, quand on s’empressa de dérober les trois couleurs à leurs yeux. Ils sont d’ailleurs beaucoup moins farouches au Laos qu’en Cochinchine. Dans notre colonie, même aux environs de Saigon, la vue d’un Français les exaspère, comme s’ils ressentaient l’injure de la conquête plus vivement que les Annamites. Nos Laotiens refusaient à tout moment de marcher, il fallait les pousser en avant. Ils sont cependant capables de faire de longues courses à pied ; mais le temps n’a pas de valeur à leurs yeux. Ils aiment à se reposer souvent au bord d’un ruisseau pour fumer une cigarette, fabriquer une chique de bétel.