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prétendent lire les desseins de Dieu dans la révolution même qui les a bouleversés. M. Victor Hugo est le Joseph de Maistre de la république exilée, mais un de Maistre plus orageux, reproduisant dans le flux et le reflux de ses vers l’éternelle agitation de l’océan mugissant autour de lui. De Maistre, qui a aussi ses foudres et ses tempêtes, les voit de haut, les domine, comme il dominait des sommets de Lausanne le lac Léman, quelquefois irrité, le plus souvent paisible et limpide. L’idée de la Providence est partout dans les œuvres de M. Victor Hugo depuis son exil. Elle y apparaissait déjà depuis quelques années, mais comme une pensée de la vie intime, à propos du premier coup irrémédiable dont son cœur fut navré, la mort de sa fille, Mme Léopoldine Vacquerie. Il passait ainsi par la première initiation au dogme redoutable et profond, l’initiation de la douleur privée. C’est ce qu’il exprime dans une partie des Contemplations. La seconde initiation par la douleur publique, celle de l’exil, la plus constante, on le sent, sinon la plus pénible, lui a dicté un grand nombre des pages qu’il a écrites depuis dix-sept ans. Le rôle qu’il s’est donné parmi les proscrits sera diversement jugé ; mais les paroles qu’il adresse aux bannis pour soutenir leur foi n’en offrent pas le côté le moins curieux ni le moins intéressant. Les plus éloquentes qu’il ait trouvées sur ce texte sont celles de la Force des choses dans les Châtimens. Tout émues encore et tout enfiévrées par la récente blessure, elles n’affectent pas le ton de l’oracle ; la sincérité de la passion les rend également touchantes pour les simples témoins de cette grande affliction et pour les compagnons d’infortune au-dessus desquels cette fois le poète ne prétend pas s’élever.

De toutes les veines poétiques dont il a été question, M. Victor Hugo a tiré des pages éclatantes ; mais cette politique et cette philosophie demandent des cadres ambitieux : nous avouons notre préférence pour les pièces plus courtes et d’un seul jet, telles que Ultima verba, la chanson qui a pour refrain : « on ne peut pas vivre sans pain, » les strophes qui commencent par ces mots : « puisque le juste est dans l’abîme, » et, comme nous n’avons rien cité de ce recueil capital de la seconde époque de M. Victor Hugo, terminons par quelques vers de cette dernière pièce.

Puisque toute âme est affaiblie,
Puisqu’on rampe, puisqu’on oublie
Le vrai, le pur, le grand, le beau,
Les yeux indignés de l’histoire,
L’honneur, la loi, le droit, la gloire,
Et ceux qui sont dans le tombeau ;

Je t’aime, exil ! douleur, je t’aime !
Tristesse, sois mon diadème.