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le peu de solidité de cette idée, et de faire observer qu’il y a dans ce supplice d’espèce bien nouvelle une compensation qui n’est point à dédaigner pour un oncle, celle de voir le trône occupé par son neveu. Ils reconnaîtront tout ce que la pièce contient de désagréable pour l’empereur ; mais ils demanderont quel tort sérieux cela peut faire à l’empire. Ainsi M. Victor Hugo, tour à tour captif de son imagination ou gêné par ses souvenirs, offre partout cette contradiction d’attaquer violemment la personne et d’adorer secrètement le nom : il ne voit pas que c’est le nom qui fait la force de la personne ; mais qu’importe qu’un poète se contredise ? Des pages resplendissantes de beaux vers ne font-elles pas tout passer ?

Il est douteux que l’historien fût bien persuasif pour ceux qui lisaient vers la fin de Napoléon le Petit le chapitre du « progrès dans le coup d’état. » On lui savait gré de ne pas désespérer de ce siècle, quoiqu’il fût victime de ses révolutions, de le reconnaître pour le plus doux des siècles, quoiqu’il n’eût pas à se louer de sa douceur ; mais la raison des lecteurs avait peine à se convaincre que le coup d’état était une toile peinte, que le plébiscite était une illusion, que la constitution nouvelle, que le pouvoir décennal, que le sénat, que le corps législatif, n’existaient pas. Voyez maintenant toute cette philosophie du côté idéal ; dites-vous que l’homme politique, l’historien, l’orateur qui a mis toutes ces choses en prose brillante n’est pas un homme politique, n’est pas un historien, n’est pas un orateur, mais qu’il est poète partout ; rendez à ses pensées la forme qui leur convient, supposez-les en vers, et vous avez l’une des veines les plus brillantes des Châtimens. Sauf quelques détails dont le goût le moins scrupuleux ne peut que gémir, la pièce de la Force des choses fait le plus grand honneur à M. Victor Hugo. Nous avons beau faire, la nature profonde et calme, quand nous souffrons, nous irrite ; l’insolent sourire de son indifférence met le comble à nos peines : c’est par là que nous commençons à douter de la providence de Dieu. Qu’est-ce donc quand le mal physique ou moral s’étend à un grand nombre, quand ce sont des nations qui sont atteintes par les fléaux divins et des multitudes qui souffrent dans leur conscience ! Alors ce sont non plus des individus, mais des peuples qui lèvent leur front vers le ciel, et demandent à Dieu s’il les abandonne. Jamais les questions de providence et de gouvernement du monde ne sont plus ardemment débattues qu’à la suite des révolutions. Jamais aussi ces formidables problèmes ne reçoivent des solutions plus audacieuses. Tandis que les ans imposent silence à leur cœur en le déchirant, et demandent la paix à je ne sais quel morne stoïcisme qui nie Dieu, les autres, se réfugiant dans un stoïcisme contraire, nient le mal dont ils souffrent, et