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toujours intéressans aux voyageurs. Voici un exemple de leur amour pour l’indépendance. Dans une battue faite à l’île de Luçon par des soldats indigènes, sous les ordres d’un officier espagnol, à la poursuite de Negritos qui ravageaient des plantations de cannes à sucre, on s’empara d’un petit noir d’environ trois ans. Il fut trouvé tremblant d’épouvante, à côté d’une fosse peu profonde encore et fraîchement creusée. Il allait y être enseveli vivant. Lorsque les Negritos sont poursuivis, trop vivement, ils abandonnent les enfans à la mamelle ou trop faibles pour les suivre. Les mères déclarent aux chefs, qu’elles ne peuvent plus les porter, et elles les déposent à terre en détournant les yeux, mais, comme les vagissemens ou la rencontre des pauvres abandonnés indiqueraient la route prise par les fuyards, il est décidé qu’ils seront sacrifiés à la sûreté générale : une fosse rapidement creusée les engloutit vivans. Celui auquel l’officier espagnol venait de sauver la vie, longtemps inquiet, taciturne, évitant le regard de son libérateur comme le ferait un jeune singe enlevé tout à coup à sa forêt, fut conduit à Manille. Un Américain l’ayant demandé au gouverneur pour l’adopter, il fut baptisé sous le nom de Pedrito… Dès qu’il fut en âge de recevoir quelque instruction, on s’efforça de lui donner toute celle qu’on peut acquérir dans ces contrées éloignées. Les vieux résidens de l’île, connaissant le caractère des Negritos, riaient sous cape en voyant les tentatives faites pour civiliser celui-ci. Ils prédisaient que l’on verrait tôt ou tard le jeune sauvage retourner à ses montagnes. Son père adoptif, n’ignorant point les railleries dont sa sollicitude était l’objet, mais, se piquant au jeu, annonça qu’il conduisait Pedrito en Europe. Il lui fit visiter New-York, Paris, Londres, et ne le ramena aux Philippines qu’après deux ans de voyages.

Avec cette facilité, dont la race noire est douée, Pedrito parlait au retour l’espagnol, le français et l’anglais ; il ne chaussait que de fines bottes vernies, et tout le monde à Manille se rappelle encore aujourd’hui le sérieux digne d’un gentleman avec lequel il recevait les premières avances des personnes qui ne lui avaient pas été présentées. Deux ans à peine s’étaient écoulés depuis le retour d’Europe, lorsqu’il disparut de la maison de son protecteur ; les rieurs triomphèrent. Jamais probablement on n’eût appris ce qu’était devenu l’enfant adoptif du philanthrope yankee sans la rencontre singulière qu’en fit un Européen. Un naturaliste prussien, parent du célèbre Humboldt, résolut de faire l’ascension du Maritalès, montagne qui forme l’un des côtés de la baie où se jette le fleuve Pasig, et habitée, malgré la proximité de la capitale des Philippines, par de nombreuses tribus de Negritos. Le naturaliste avait presque atteint, le sommet du pic, et herborisait en compagnie de