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ennemis les Maures d’Afrique, — exécutent de véritables razzias sur les populations soumises aux Européens. S’élançant comme des oiseaux de proie sur les villages chrétiens, ils persistent, comme leurs coreligionnaires d’Algérie avant 1830, à vivre de rapines, à peupler leurs sérails des plus jolies femmes indiennes, dont souvent ils réduisent aussi les maris en esclavage. On raconte même que plus d’une captive en faveur s’est vengée d’anciens griefs conjugaux, et a fait imposer à son mari, captif comme elle, les services les moins appropriés à sa qualité d’époux. Les Indiens des Philippines préfèrent l’esclavage à la honte de répudier leur foi. Des terres, la liberté, des femmes, leur sont offertes à la condition de se faire mahométans ; mais les exemples d’abjuration sont très rares. Les descendans des Malais n’ont point la même fermeté religieuse, et il n’en est pas un seul qui, sur le point d’être passé par les armes pour crime de piraterie, ne demande le baptême, persuadé que son apostasie le sauvera. Les missionnaires espagnols, peu scrupuleux sur la façon de faire des prosélytes, entretiennent chez les condamnés l’espérance fort aléatoire d’une commutation de peine, s’ils veulent se convertir au christianisme ; mais, dans la pureté toute primitive et naïve de sa croyance, un Indien souffre résolument la mort plutôt que d’abjurer sa foi.

Il arrive souvent que les pirates dont nous avions à redouter la rencontre attaquent, au nombre de deux ou trois cents, des embarcations du tonnage de notre brick. Les matelots indiens, n’ignorant point qu’ils n’ont aucun quartier à attendre, s’ils ne se rendent à merci, combattent en désespérés. Ils parviennent presque toujours à se dégager dès qu’ils ont le temps de se préparer à la défense ; mais, s’ils sont surpris la nuit, leur massacre est certain. Jetant dans les pirogues tous les objets précieux qu’ils trouvent à bord, les Moros se retirent en mettant le feu au bâtiment saccagé, non point pour faire disparaître les indices accusateurs de leurs pirateries, mais simplement par esprit de dévastation.

Les premiers jours de traversée furent des plus calmes. L’absence de dangers, la vie paisible d’un équipage composé d’Indiens indolens, eussent rapidement engendré la tristesse, si à chaque instant notre navigation n’eût été égayée par l’apparition de quelque nouveau promontoire. Nous découvrions assez fréquemment des îlots madréporiques de création récente. Ces petites îles sont formées de polypiers qui, unis à des coraux de forme rameuse, ils se métamorphosent avec le temps en récifs redoutables. Ces récifs à leur tour, après de longues années, deviennent des îles enrichies des mille débris que les flots leur apportent. Les vents et les oiseaux du ciel ne tardent pas à les féconder. D’élégans bouquets de cocotiers aux feuilles frémissantes, s’élançant d’un cercle d’eau de mer