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L'ARCHIPEL
DES PHILIPPINES
RECIT DE MOEURS ET DE VOYAGE.

Avant de quitter à regret cet admirable archipel des Philippines où j’avais séjourné dix années, je résolus de faire une excursion au village de Butuan. C’est sur ce point alors inconnu du globe, par 128° 44’ de longitude et 8° 48’ de latitude, à l’extrémité orientale de l’île de Mindanao, qu’en 1521, le jour de Pâques-fleuries, Magellan arborait pour la première fois l’étendard de Castille. En laissant Butuan derrière moi, en suivant en quelque sorte pas à pas les traces du célèbre navigateur, je devais atteindre l’îlot de Mactan, situé en face de Cebu. C’est là que, victime d’un faux point d’honneur, Magellan, frappé d’une flèche, expira au milieu de ses compagnons consternés. Il fut enseveli sur la pointe de l’îlot que je désirais explorer ; j’espérais y obtenir, grâce aux traditions locales, des renseignemens nouveaux sur ses découvertes et sur sa fin tragique.

Mes amis de Manille soutenaient que l’intérêt scientifique d’un tel pèlerinage ne compenserait pas les dangers qu’il me faudrait affronter pour atteindre Mindanao. Ils ne cessaient de me répéter que j’allais traverser des contrées infestées de pirates et rarement visitées par les Européens. Si je leur disais que j’emportais avec moi une lettre du consul d’Angleterre pour un Anglais du nom de Dickson, et si je leur affirmais que sa protection ne pouvait me faire défaut dans le cas fâcheux où je tomberais vivant entre les mains des pirates, ils me rappelaient que l’équipage d’un canot français avait été massacré tout récemment à Basilan, c’est-à-dire dans les parages habités par ce Dickson. L’interprète hollandais