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les conflits qui se déclarent si souvent entre la science et la foi. Souvent celle-ci, habituée à ses formes séculaires, ne sait plus se retrouver au milieu des faits découverts ou démontrés par la science. Dans le premier moment de sa surprise, elle se met à combattre celle-ci à outrance et à nier effrontément les plus incontestables évidences ; mais au bout d’un certain temps, mieux avisée, elle s’examine, elle s’interroge, elle se demande si elle ne contenait pas tel élément d’erreur dont l’élimination la rendrait indifférente ou même sympathique aux révélations nouvelles qui lui ont d’abord causé tant d’émoi, et elle s’exécute. Par exemple, je comprends fort bien qu’au sortir du moyen âge la foi se soit sentie troublée devant les allégations de l’astronomie moderne, et je réclame, non pas l’absolution, mais le bénéfice des circonstances atténuantes pour les juges de Galilée. Eh bien ! cet effarouchement de la foi ne dura pas toujours, et là où elle n’était pas rivée à un dogme immuable, elle sut se transformer de manière à trouver dans les nouveaux cieux des alimens, des sujets d’amour et d’adoration bien autrement nombreux et fortifians qu’elle n’en pouvait puiser dans la contemplation du ciel mesquin de la cosmographie antique. Il en est de même de la question du miracle. La négation du miracle révolte encore le plus grand nombre des croyans, et pourtant la foi au Dieu vivant, à la destinée humaine fondée sur lui, sur sa puissance et son amour, peut déjà s’en passer chez l’élite intellectuelle des chrétiens des deux mondes, et se réjouit même de n’en plus avoir besoin.

Ne désespérons jamais de la nature humaine. Le tort du XVIIIe siècle fut, non pas de renvoyer l’homme à la nature, mais de ne pas interroger d’assez près la nature humaine pour en écouter les voix prophétiques. Le sentiment religieux, purifié de toute superstition, ramené à ses élémens simples, mais aussi à ses affirmations essentielles, est une autorité incomparable. Qu’il ait besoin, pour ne pas s’égarer, du contre-poids de la raison, qu’il cherche, pour éviter de dangereux conflits dont il serait la victime ou la dupe, à se donner des formes en harmonie avec l’ensemble des connaissances acquises à l’esprit humain, rien de mieux ; mais qu’il ait aussi confiance en lui-même, et qu’il maintienne la fierté de ses exigences fondamentales. En l’écoutant, l’homme saisit Dieu en lui-même plus sûrement encore que dans l’immensité des cieux. Là se trouve aussi la conciliation vraiment rationnelle entre la pensée philosophique et ce qu’il y a de plus élevé dans la tradition religieuse qui nous précède. La légitimité du sentiment religieux une fois posée, il n’est pas possible de lui trouver une expression meilleure, plus digne de son objet et plus douce à l’âme, que celle du principe chrétien. Ce principe n’est autre que celui dont Jésus est parti en